« Spiritualité athée au flou artistique » Le cauchemar du philosophe analytique – Partie 14 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 13

Dans les parties précédentes, nous avons évalué en détail les 6 arguments offerts par André Comte-Sponville en faveur de l’athéisme : la soi-disant faiblesse des arguments théistes, celle des expériences de Dieu, le problème d’un Dieu qui serait incompréhensible, le problème du mal, la médiocrité de l’homme, et notre désir de Dieu comme raison de ne pas croire. Dans chaque cas, nous avons vu qu’il ne s’agissait pas de bonnes raisons d’être athée ou agnostique (certaines d’entre elles étaient même particulièrement mal conçues), et durant cette critique, nous avons également rencontré plusieurs bonnes raisons de croire, au contraire, que Dieu existe. Ma tâche de philosophe chrétien est donc accomplie pour ce qui est de la question « Dieu existe-t-il ? », et nous pouvons maintenant nous tourner vers la troisième et dernière partie du livre L’esprit de l’athéisme, qui tente de répondre à la question « quelle spiritualité pour un athée ? ». Dans cette partie, André Comte-Sponville tente de fournir un ensemble de pratiques et de pensées qui pourraient alimenter une vie « spirituelle » pour un athée, en l’absence de Dieu.

Je dévoile mon jugement d’entrée de jeu : cette partie du livre est particulièrement faible. Je n’ai rien contre le projet en soi, et j’apprécie sincèrement l’ouverture d’esprit d’André Comte-Sponville, mais sa réalisation est une longue illustration de ce qui m’insupporte dans la philosophie non-analytique, une longue démonstration de tout ce qu’il ne faut pas faire : le langage est flou, cherche à être poétique au détriment de la clarté et de la rigueur, et une grande partie du texte se trouve ainsi être virtuellement incompréhensible, si ce n’est explicitement absurde. Le souci de précision et d’analyse philosophique qu’André Comte-Sponville tentait (souvent avec succès) d’employer dans les parties précédentes, est ici presque entièrement abandonné, et je dois faire la confession risquée au sujet de cette dernière partie du livre : « je n’ai rien compris ». C’est toujours une confession risquée, car il y a bien deux explications possibles : soit le texte est réellement incompréhensible, soit je ne suis pas assez intelligent pour le comprendre ! Je m’expose donc à ce que le lecteur pense qu’il s’agisse de la deuxième option, mais j’espère convaincre par les citations ci-dessous, que mon incompréhension totale est justifiée par le texte, et non pas mon manque de matière grise. Dans le conte Les habits neufs de l’empereur, quand l’enfant s’écrie : « l’empereur est nu ! », il prend le risque d’être accusé de bêtise lui même, mais au final, cela convainc en fait la foule du contraire : l’invisibilité du vêtement n’est pas due à leur bêtise, mais à l’absence de vêtement. Je vais alors être le philosophe qui s’écrie « je n’y comprends rien ! », et espérer que vous me rejoindrez dans l’idée que le problème est dans le texte, et non dans le lecteur.

En page 203, André Comte-Sponville liste les sujets sur lesquels il tente de construire sa « spiritualité » athée :

le mystère et l’évidence, la plénitude et la simplicité, l’unité et l’éternité, le silence et la sérénité, l’acceptation et l’indépendance.

Au début de sa discussion de la spiritualité, aux alentours de la page 150, il s’agirait presque d’une « éthique », ou d’une « sagesse », mais il spécifie que ce qui l’intéresse c’est l’absolu, l’infini, l’éternel, qui sont traditionnellement l’apanage du théiste. Il part alors dans des acrobaties de langage pour essayer de rescaper ces notions dans un univers athée.

En pages 153 et après, il s’émerveille devant la taille de l’univers et sa propre petitesse. Soit. L’univers est grand. Il n’est pas infini. Je ne sais pas bien quelle conclusion en tirer vis à vis de la « spiritualité » dans un monde athée. Il fait ensuite l’apologie d’un « état modifié de conscience », expérience mystique (il répète l’expression en page 171), nous racontant qu’il a eu l’occasion de s’extasier devant l’univers, un jour, alors qu’il se promenait dans les bois avec des amis (p.167) :

C’est le plus beau moment que j’aie vécu, le plus joyeux, le plus serein, et le plus évidemment spirituel.

Ici encore, je n’ai pas grand-chose à dire sur son expérience. Il ne nous dit pas exactement de quoi il s’agit, et il confesse être incapable de la reproduire, donc le lecteur athée n’y trouvera pas ici une grande aide à la « spiritualité » sans Dieu.

Lorsqu’André Comte-Sponville en vient ensuite à discuter des sujets de méditation listés ci-dessus, le langage devient opaque, et la cohérence du propos se retire pour laisser place à la poésie. On lit des phrases comme celles-ci :

le mystère et l’évidence sont un, et c’est le monde. Mystère de l’être : lumière de l’être (p.172)

Pardon ?

D’ailleurs, vous n’êtes rien, en tout cas pas un être, ni une substance ; vous vivez, vous sentez, vous agissez (p.175)

Vous n’êtes rien, mais apparemment vous (rien) vivez, sentez et agissez. Plutôt difficile, lorsqu’on n’est rien, ni un être ni une substance.

L’esprit du Soto Zen : « la technique est le chemin ; le chemin est la technique (p.177).

Hein ?

Quoi de plus simple que la simplicité ? Quoi de plus rare ? C’est être un avec soi, au point qu’il n’y a plus de soi : il n’y a plus que l’un, il n’y a plus que l’acte, il n’y a plus que la conscience. Vous vous promeniez ? Il n’y a plus que la promenade. Vous faisiez l’amour ? Il n’y a plus que le désir ou l’amour. Vous méditiez ? Il n’y a plus que la méditation … vous étiez ? Il n’y a plus que l’être…(p.177)

Que dire ?

En pages 182-183, il tente de faire glisser le sens des mots pour maintenir que le présent est éternel (ce qui est évidemment nécessairement faux par définition) :

Comment l’éternité pourrait-elle être à venir ? Comment pourrions nous l’attendre ou l’atteindre, puisque nous y sommes déjà ? Eternité du présent : présence de l’éternité

Plait-il ?

le beau n’est qu’un chemin ; le travail n’est qu’un chemin. Pour aller où ? Là où mènent tous les chemins, qui les contient tous, et qui n’en est pas un (p.191).

Ah ?

En page 197, il anticipe ensuite que certains pourraient se moquer de ses propos un peu plus intimes :

C’est mon chemin … j’ose en parler, malgré l’intimité du propos, et tant pis pour ceux, il y en aura sans doute, que cela fera sourire.

J’espère qu’il est clair que je ne me moque pas de son expérience ou de son « chemin ». Ce que je critique, c’est le fait assez clair qu’André Comte-Sponville ne conçoive pas bien son expérience, et tente de la décrire avec une confusion notable, utilisant des phrases contradictoires, remplies de poésie et dépourvues de sens. C’est le cauchemar du philosophe analytique rigoureux.

Il dit ensuite (p.204) que nous sommes tous engagés dans certaines de ces disciplines, nous sommes donc tous sur le « chemin » de la spiritualité, et il explique :

Mais lequel d’entre nous n’a jamais ses moments d’attention, de plénitude au moins partielle, de paix, de simplicité, de fraîcheur, de légèreté, de vérité, de sérénité, de présence, d’acceptation, de liberté ? C’est le chemin où nous sommes (le chemin de la spiritualité, l’esprit même comme chemin), sur lequel il s’agit d’avancer.

Je ne comprends déjà pas ce que veut dire « l’esprit même comme chemin », mais la suite est pire :

Ceux qui sont allés au bout, ne serait-ce qu’une fois, savent qu’il ne mène nulle part que là, exactement, où nous sommes déjà : que l’absolu n’est pas le but du chemin (ou qu’il ne l’est que tant qu’on ne l’a pas atteint), mais le chemin lui-même.

N’importe quoi.

Je poursuis ma revue des phrases poétiques mais contradictoires avec en page 207 :

Mais il n’y a pas de Dieu ; il n’y a qu’un rêve sans rêveur, ou qui les contient tous, et c’est le monde, auquel on n’accède qu’à la condition de s’éveiller. Eveil : libération. C’est la même chose. C’est accéder à l’universel ou au vrai (au vrai, donc à l’universel) en se libérant de soi

Mais encore ?

La vérité du sujet n’est pas un sujet. Comment un sujet serait-il la vérité ? Le sage est sans ego. Comment l’ego serait-il sage ? (p.209)

Hein ?

Le moi n’est rien que l’ensemble des illusions qu’il se fait sur lui-même. Encore peut-on en sortir (par la connaissance, par l’action), et c’est ce qu’on appelle l’esprit.

Eh…

Voilà, j’espère ne pas être le seul à n’avoir rien compris à la spiritualité athée telle qu’André Comte-Sponville la conçoit, et je ne m’attarde pas sur cette troisième partie défendant des thèses floues et difficiles à évaluer. Oublions donc tout cela pour finir sur une note positive : je répète au lecteur que la philosophie analytique pratiquée par Comte-Sponville dans les deux premiers tiers de son ouvrage est bien meilleure, et j’insiste que L’esprit de l’athéisme est une lecture importante pour celui qui s’intéresse à l’athéisme à la française. Au final, je le recommande vivement, et je me réjouis qu’il ait été écrit. Comptez-moi parmi les fans d’André Comte-Sponville.

Notre critique de L’esprit de l’athéisme en 15 parties touche à sa fin, mais pour conclure en bon philosophe chrétien, dans la prochaine et dernière partie, je voudrais dire un dernier petit mot sur Jésus de Nazareth, et sa compréhension par André Comte-Sponville qui se dit « athée fidèle » aux valeurs d’inspiration chrétienne.

>>> Partie 15

« Trop beau pour être vrai…ou faux » Notre désir de Dieu en argument athée – Partie 13 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 12

Nous voici rendus à la sixième et dernière raison offerte par André Comte-Sponville en faveur de l’athéisme. Il s’agit de notre « envie de croire ». Il écrit (p.133):

De quoi s’agit-il ? De nous-mêmes—de notre désir de Dieu. J’y vois une raison, à mes yeux particulièrement convaincante, de n’y pas croire : si je suis athée, c’est aussi parce que je préfèrerais que Dieu existe !

Et il explique :

il [Dieu] correspond à mes désirs les plus forts. Cela suffirait, si j’étais porté à croire, à m’en dissuader ; une croyance qui correspond à ce point à nos désirs, il y a lieu de craindre qu’elle n’ait été inventée pour les satisfaire.

En d’autre termes, son argument consiste à dire qu’il y a tant de bonnes choses à désirer dans l’hypothèse que Dieu existe, il y a tant de bénéfices pour nous si le théisme est vrai, que nos facultés cognitives pourraient bien se dérégler en tentant d’évaluer la question ; le système pourrait bien s’emballer, et on ne devrait peut-être plus leur faire confiance pour accéder à la vérité. Il est trop probable, nous dit Comte-Sponville, que l’hypothèse de Dieu ait été inventée pour satisfaire nos désirs et non pas pour traduire la réalité. Avant de discuter des mérites de son argument, il est bon de se demander : « de quels désirs s’agit-il exactement ? » Quels sont les bénéfices que Comte-Sponville trouve dans la balance sur la question de l’existence de Dieu ? Il énumère (p.133) les avantages suivants :

Que désirons-nous plus que tout ? Si on laisse de côté les désirs vulgaires ou bas, qui n’ont pas besoin d’un Dieu pour être satisfaits, ce que nous désirons plus que tout, c’est d’abord de ne pas mourir, ou pas complètement, ou pas définitivement ; c’est ensuite de retrouver les êtres chers que nous avons perdus ; c’est que la justice et la paix finissent par triompher ; enfin, et peut-être surtout, c’est d’être aimés.

André Comte-Sponville cerne bien les enjeux. Si Dieu existe—dans sa conception chrétienne, du moins—il rend possible la vie éternelle, le triomphe de la justice et de la paix (puisqu’elles ne sont pas obtenues ici-bas, elles requièrent une vie après la mort et l’existence d’un juge parfait), et l’amour divin inconditionnel (j’en dirai plus à ce sujet dans la dernière partie de cette critique). Dieu rend donc possible l’espoir ultime, et la citation suivante (un peu longue mais puissante) de Comte-Sponville l’illustre parfaitement:

Si vous ne croyez pas ou plus en Dieu, à l’inverse, que vous est-il permis d’espérer ? Rien, en tout cas rien d’absolu ni d’éternel, rien au-delà du « fond très obscur de la mort », comme disait Gide, si bien que toutes nos espérances, pour cette vie, fussent-elles légitimes (qu’il y ait moins de guerres, mois de souffrances, moins d’injustices, …), viennent buter sur ce néant ultime, qui engloutit tout, bonheur et malheur, et cela fait une injustice de plus (que la mort frape également l’innocent et le coupable), un malheur de plus ou plusieurs (combien de deuils dans une vie d’homme ?), qui nous vouent au tragique ou, pour l’oublier, au divertissement… Cela n’empêche pas de se battre pour la justice, mais interdit d’y croire tout à fait, ou de croire tout à fait en son triomphe possible. Bref, Pascal, Kant et Kierkegaard ont raison : un athée lucide ne peut pas échapper au désespoir. (p.60)

Ce désespoir, c’est l’issue que Comte-Sponville suggère, et il y trouve même une conséquence positive : plus d’espoir, plus de déception ! Il pose la question rhétorique : « Celui qui n’espère rien, au contraire, comment serait-il déçu ? » (p.63). C’est très bouddhiste de sa part. En tuant tout espoir ultime pour le futur, il nous invite à apprécier le bonheur maintenant, en disant que l’espoir du bonheur dans le futur veut dire qu’on ne l’a pas maintenant. Mais c’est bien sûr un faux dilemme. On peut très bien avoir les deux : être heureux et joyeux dans le présent (même s’il est parfois douloureux) tout en espérant un futur meilleur. L’homme malade ou mourant mais croyant peut saisir l’instant tout en espérant une meilleure vie future.

André Comte-Sponville affirme ensuite qu’il n’y a pas de Royaume de Dieu futur, et que pour l’athée, le monde présent est le seul royaume que l’on aura jamais, ce qui est assez trivialement vrai si l’on suppose l’athéisme, mais il conclut alors de manière intrigante (p.68):

Si nous sommes déjà dans le Royaume, nous sommes déjà sauvés. Qu’est ce que la mort pourrait nous prendre ? Qu’est-ce que l’immortalité pourrait nous apporter ?

Ces questions sont supposées être purement rhétoriques, mais la réponse qu’elles suggèrent, à savoir : « rien », est trivialement fausse. Qu’est-ce que la mort pourrait nous prendre ? La vie éternelle ! Si le bénéfice d’une telle chose n’est pas clair, je ne vois pas comment l’expliquer plus simplement : vivre c’est bien, mourir pas bien. Poursuivons.

Avec une sobriété qui mérite très honnêtement le respect (n’y voyez ici aucun sarcasme de ma part, je suis très sérieux: j’apprécie sincèrement sa lucidité), André Comte-Sponville continue à mesurer les dures conséquences de son athéisme. Il décrit (p.16) son entrée dans l’athéisme comme une entrée dans le « monde réel », celui de la « vérité sans pardon ni Providence ». Il remarque (p.17) que (si l’athéisme est vrai), « la mort emportera tout, jusqu’aux angoisses qu’elle leur inspire » et puis (p.18) « Reste la mort des autres, et elle est autrement réelle, autrement douloureuse, autrement insupportable. C’est là que l’athée est le plus démuni. »

Pour résumer, selon André Comte-Sponville lui-même (pas juste selon le chrétien), les conséquences de l’athéisme sont : une satisfaction seule de nos désirs « vulgaires ou bas », la perspective de mourir « complètement » et « définitivement », pas de retrouvaille avec des « êtres chers que nous avons perdus », pas de pardon, pas de providence, pas de triomphe pour la justice et la paix, pas d’amour de Dieu, pas d’espoir, l’impossibilité de croire tout à fait à notre combat pour la justice, et ultimement, un désespoir impossible à échapper.

Nous sommes maintenant en mesure d’évaluer son argument qui dit que notre désir de Dieu (qui permettrait d’éviter ces choses) est une raison de ne pas croire en lui.

Le premier problème est que toutes ces considérations sont entièrement impertinentes pour juger de la vérité de l’existence de Dieu. Rien de tout cela ne nous dit si Dieu existe ou pas. Et c’est valable dans les deux sens, l’argument est invalide pour l’athée comme pour le croyant. Oui, le monde athée est déprimant, mais je dis « attention ! » au croyant qui conclura alors qu’il nous faut croire en Dieu à cause de cela : peut être que le monde athée est lugubre, mais ce n’est pas une raison de le rejeter, car il pourrait y avoir de bonnes raisons de le croire réel même s’il est attristant. En ce sens, je suis d’accord avec Comte-Sponville lorsqu’il critique cet aspect du fameux « pari » de Blaise Pascal, qui nous invitait à choisir le théisme car il n’y avait rien à perdre si c’était faux alors qu’on le croyait, mais qu’il y avait une éternité à perdre si c’était vrai alors qu’on le rejetait. La réponse de Comte-Sponville (p.135) est je pense appropriée : « Pourquoi la grâce se soumettrait-elle au calcul des probabilités ? Comment mon salut dépendrait-il d’un pari ? Dieu n’est pas un croupier. » Mais surtout, les conséquences négatives de l’athéisme ne sont pas une bonne raison de le rejeter.

Ceci étant admis par le croyant, il faut donc remarquer qu’à l’inverse, c’est également ce qui rend invalide l’argument athée offert ici par André Comte-Sponville : la désirabilité du théisme n’est pas plus une raison de le rejeter que de l’accepter. Le théisme pourrait très bien être merveilleux et réel (une thèse par ailleurs supportée par toutes les bonnes raisons que j’ai offertes jusqu’ici de penser que Dieu existe).

Par ailleurs, pour ce qui est des affirmations de Comte-Sponville sur la psychologie du théisme, il faut noter qu’elles sont aussi entièrement adaptables pour se retourner contre l’athéisme. En effet, on peut aisément imaginer toutes sortes de raisons pour lesquelles un homme pourrait désirer fortement la non-existence de Dieu. Peut être que l’homme veut vivre sa vie de manière autonome. Peut être que les obligations morales qui viennent avec l’existence de Dieu sont jugées trop strictes (c’était clairement un de mes soucis quand j’étais athée et que j’ai commencé à considérer le christianisme) ; peut être que l’athée, désillusionné, a peur de se laisser croire à la bonne nouvelle, de peur d’être déçu, et devient alors cynique plutôt que de s’autoriser à espérer. Le physicien Stephen Hawking a déclaré « la religion est une histoire de contes de fées pour ceux qui ont peur du noir », ce à quoi le mathématicien John Lennox a répondu « l’athéisme est une histoire de contes de fées pour ceux qui ont peur de la lumière ». L’astuce du bon mot fait sourire, mais derrière la rhétorique il y a une information importante, à savoir que ce genre de considérations psychologiques (voire psychanalytiques) est adaptable aux deux positions, et ne pèse pas sur la question de la vérité.

J’ajoute que l’argument de Comte-Sponville ne se retourne pas que contre son athéisme ; il se retourne aussi contre un bon nombre de choses que l’on sait être vraies. Il déclare (p.134) : « C’est justement ce qui rend la religion suspecte : c’est trop beau, comme on dit, pour être vrai ! » et « Dieu est trop désirable pour être vrai, la religion, trop réconfortante pour être crédible. » Ce à quoi je réponds « La glace à la vanille est trop désirable pour être vraie, la médecine est trop réconfortante pour être crédible. » Parfois, le monde contient réellement une bonne nouvelle, et s’interdire l’espoir c’est passer à côté. Quand je décris Disneyworld à ma fille de trois ans, elle n’en croit pas ses oreilles, et c’est presque trop beau pour être vrai, mais ce n’est pas une raison pour douter de son existence. Si je suis dans le désert et que je vois une oasis, il est possible que ça soit un mirage, mais vais-je l’ignorer sous prétexte que je la désire de manière suspecte ? Non. Mon désir n’est ni une raison de conclure « c’est un mirage », ni une raison de l’exclure. Mon désir pour Dieu n’est ni une raison de croire, ni une raison de douter, c’est une raison de faire bien attention à rester le plus objectif possible en évaluant la question. C’est tout.

Et au final, André Comte-Sponville revient bien (même si seulement à demi-mots) vers ce terrain, le seul qui compte sur la question de l’existence de Dieu, lorsqu’il reformule son argument ainsi :

une croyance que rien n’atteste et qui correspond à ce point à nos désirs les plus forts, comment ne pas suspecter qu’elle soit l’expression de ces désirs ? (p.137).

Une croyance que rien n’atteste, est en effet sujette à ce genre de doute. Mais on en revient donc à débattre non pas la désirabilité du théisme, mais sa plausibilité. Cette croyance est-elle mieux attestée que l’athéisme ? À cet égard, j’ai présenté dans les parties précédentes un bon nombre de bonnes raisons de croire que Dieu existe, et réfuté un bon nombre de raisons de croire l’athéisme. Même si l’athée n’est pas ultimement convaincu, il lui faut au moins admettre à ce point que le théisme n’est pas une croyance « que rien n’atteste ». Et donc j’insiste: pour une croyance si bien attestée, le fait qu’elle corresponde à nos désirs n’est pas une raison de la rejeter, mais une raison de se réjouir !

Je conclue ma réponse à ce dernier argument athée offert par André Comte-Sponville, en notant qu’il le décrivait ainsi : « Le désir même que nous avons de Dieu…est l’un des arguments les plus forts contre la croyance en son existence. » (p.139). Si cet argument que j’ai maintenant montré être invalide est effectivement « un des plus forts » contre l’existence de Dieu, alors je pense que le théisme se porte plutôt bien.

>>> Partie 14

« Ni vu, ni connu » Allégations de Dieu caché et incompréhensible – Partie 10 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 9

Dans les parties précédentes, nous avons répondu à André Compte-Sponville sur son traitement de trois grands arguments en faveur de l’existence de Dieu (l’argument ontologique, l’argument cosmologique, et l’argument physico-théologique). Cette soi-disant « faiblesse des arguments » constituait la première raison offerte par André Comte-Sponville pour affirmer que Dieu n’existe pas. Nous allons dans un instant nous tourner vers les deux raisons suivantes qu’il offre en faveur de l’athéisme : la « faiblesse des expériences », et le problème d’un « Dieu incompréhensible ». Mais avant d’y venir, il est important d’analyser la brève réflexion qu’il ajoute en conclusion de sa raison numéro un, sur la « faiblesse des arguments théistes ». Après avoir (selon lui) réfuté les trois arguments classiques, il demande (p.102) :

Que conclure de tout cela ? Qu’il n’y a pas de preuve de l’existence de Dieu, qu’il ne peut y en avoir.

Cette conclusion est doublement invalide ; elle enchaîne deux « non-sequitur ». Tout d’abord, de sa revue des trois seuls arguments ci-dessus, il ne s’ensuit pas qu’il n’y ait pas de preuve de l’existence de Dieu. Tout au plus, il s’ensuivrait que ces trois arguments soient invalides (et encore, je pense avoir montré dans chaque cas de manière assez limpide, que sa critique de ces arguments échouait). Mais donc bien sûr il pourrait y avoir d’autres arguments que ces trois là (et il y en a, nous avons par exemple remarqué qu’il ne traitait pas la version de Kalaam de l’argument cosmologique). Donc même si ses critiques avaient atteint leur cible, il ne s’ensuivrait pas qu’il n’y ait pas de preuve, et il s’ensuit donc encore moins qu’il « ne peut y en avoir ». Ces deux conclusions de Comte-Sponville sont donc logiquement invalides.

Il suppose ensuite que sa critique du manque de preuves pourrait se retourner contre sa propre position (p.102):

On m’objectionera qu’il n’y a pas de preuve que Dieu n’existe pas. Je le reconnais bien volontiers. La chose, toutefois, est moins embarrassante pour l’athéisme que pour la religion. Non seulement parce que la charge de la preuve, comme on dit, incombe à celui qui affirme…

Oui, la charge de la preuve incombe à celui qui affirme, mais à cet égard, André Comte-Sponville est dans le même bain que le croyant, puisqu’il affirme la proposition « Dieu n’existe pas ». Il était agréablement explicite au début de son livre, dans son affirmation de l’athéisme, pas juste de l’agnosticisme. C’est l’agnosticisme, qui ne requiert pas de justification en disant « je ne sais pas si Dieu existe ». Mais la proposition « Dieu n’existe pas », tout comme son contraire « Dieu existe », vient avec une « charge de la preuve » exactement symétrique. Mais il poursuit :

…mais encore parce qu’on ne peut prouver, dans le meilleur des cas, que ce qui est, non, à l’échelle de l’infini, ce qui n’est pas … Comment prouverait-on une inexistence ? (p.102-103)

Comment prouverait-on une inexistence ? C’est très simple, de deux manières différentes. On peut soit montrer qu’il y a une incohérence dans le concept de la chose en question, soit montrer que là ou il devrait y avoir des preuves de la chose, il ne se trouve pas de preuve. Avec ces deux façons bien naturelles de prouver une inexistence, on peut aisément prouver qu’il n’existe pas d’éléphant dans mon appartement, qu’il n’y a pas de père-noël au pole nord, ou de triangle carré, ou de célibataire marié, ou de plage tropicale au pôle sud. De manière intéressante, j’avais écrit cette réponse avant même de lire sa phrase suivante (p.103):

essayez, par exemple, de prouver que le Père Noël n’existe pas.

Et oui, je viens de le faire : si le Père Noël existait, il devrait y avoir des preuves là ou il n’y en a en fait pas, et donc il n’existe pas.

Ni les vampires, ni les fées, ni les loups-garous… vous n’y parviendrez pas. Ce n’est pas une raison pour y croire.

Mais nul ne dit que l’absence de preuve contre Dieu est « une raison pour y croire ». Au contraire, c’est André Comte-Sponville, qui dit que l’absence de preuve pour Dieu est une raison de croire que Dieu n’existe pas. Et cela, c’est injustifié. On n’a aucune preuve, par exemple, qu’il y ait un nombre impair d’étoiles dans l’univers, mais ce n’est évidemment pas une raison de penser que ce soit faux.

Qu’on n’ait jamais pu prouver leur existence est en revanche une raison forte pour refuser d’y prêter foi

Maintenant, il confond « refuser d’y prêter foi », et « affirmer que ces choses n’existent pas ». S’il ne fait que « refuser de prêter foi » en Dieu, ce n’est pas la démarche de l’athée ; c’est ce que fait l’agnostique, et cela ne justifie pas une réponse « non » à la question « Dieu existe-t-il ? »

Il en va de même, toutes proportions bien gardées (j’accorde que l’enjeu est plus grand, l’improbabilité moindre), de l’existence de Dieu : l’absence de preuve, la concernant, est un argument contre toute religion théiste.

Non. La raison pour laquelle l’absence de preuves pour les vampires, les fées et les loups-garous est une bonne raison de penser qu’ils n’existent pas, est que si ils existaient, on devrait avoir des preuves que l’on n’a pas. Ce n’est pas juste notre échec de prouver leur existence qui invite à croire qu’ils n’existent pas. Mais donc pour revenir à Dieu, si André Comte-Sponville veut utiliser un argument similaire pour conclure à sa non-existence, il faut qu’il nous montre que si Dieu existait, on devrait avoir plus de preuves que ce qu’on a. Pour résumer, cela reviendrait à dire que si Dieu existait, on s’attendrait à trouver plus de preuves que l’existence d’un univers contingent, son apparition à partir du néant, son fin réglage pour permettre la vie, l’existence accessible de valeurs morales objectives, et (selon le chrétien), la possibilité de faire l’expérience immédiate de Dieu en Jésus Christ. Bon courage pour prouver le bien-fondé de cette demande. Mais justement, il en vient à sa raison numéro deux en faveur de l’athéisme : « la faiblesse des expériences ».

Il dit (p.103-104) qu’il ne sent pas Dieu, et que si Dieu existait, il devrait en faire l’expérience :

il serait plus simple, et plus efficace, que Dieu consente à se montrer !

Et il critique le bien-fondé d’offrir (tel que je l’ai fait ci-dessus), des arguments en faveur de l’existence de Dieu, dans la mesure ou Dieu pourrait « se montrer ». Il raisonne :

si Dieu voulait que je croie, ce serait vite fait ! S’il ne le veut pas, à quoi bon s’obstiner ?

Selon le chrétien, Comte-Sponville a raison sur un point : c’est Dieu qui convertit et change les cœurs. Si Dieu l’Esprit Saint n’intervient pas pour changer le cœur de l’athée, ce ne sont pas mes arguments logiques qui vont y changer quoi que ce soit. Mais «  pourquoi s’obstiner » à donner des arguments ? Précisément parce que je ne sais pas ce que Dieu est en train de faire dans le cœur de mon interlocuteur. Un argument sert à retirer les barrières intellectuelles pour que le cerveau donne la permission au cœur de chercher et trouver Dieu.

Je n’ai plus l’âge de jouer à cache-cache ni à « Dieu y es-tu ? » … pourquoi se cache-t-il à ce point ? Pour nous faire la surprise ? Pour s’amuser ? Ce serait jouer avec notre détresse. (p.104-105)

La réponse chrétienne et biblique est que Dieu n’est pas caché. Sa création témoigne du créateur, de telle sorte que nous sommes tous ultimement sans excuse. C’est tout le raisonnement de Romains chapitre 1, qui explique que le problème n’est pas un manque d’indices, mais leur suppression par notre cœur endurci.

Comte-Sponville anticipe ensuite une autre réponse possible :

la réponse la plus fréquente, chez les croyants, c’est que Dieu se cache pour respecter notre liberté, voire pour la rendre possible. S’il se manifestait dans toute sa gloire, nous explique-t-on, nous n’aurions plus le choix de croire ou non en lui. (p.105)

Et là, je me trouve être d’accord avec André Comte-Sponville : ce n’est pas une bonne réponse. Il offre même quelques contrarguments imparables :

somme nous plus libres que Dieu ? Plus libres que les rachetés au ciel ?

ou encore,

Il y a plus de liberté dans la connaissance que dans l’ignorance

Amen ! Mais le problème pour Comte-Sponville, c’est que le chrétien n’accepte pas la prémisse que Dieu nous laisse ignorants. Au delà même de sa révélation générale par la création, il se révèle, parfois bien brutalement ; demandez à Paul de Tarse. J’ajoute personnellement que plusieurs de mes amis ont, tout comme moi, des histoires de conversion où Dieu est intervenu bien explicitement. Comte-Sponville tente enfin d’enfoncer le clou avec une analogie contre l’idée de Dieu le père : « Que penseriez vous d’un père qui se cacherait de ses enfants ? » (p.108). Mais ma réponse demeure : Dieu n’est pas caché, et en plus, bibliquement, tous ne sont pas ses enfants ; on y reviendra plus tard dans cette critique. Tournons-nous maintenant vers sa raison numéro trois en faveur de l’athéisme : l’affirmation que le concept de Dieu est « incompréhensible ».

Croire en Dieu, d’un point de vue théorique, cela revient toujours à vouloir expliquer quelque chose que l’on ne comprend pas—le monde, la vie, la conscience—par quelque chose que l’on comprend encore moins : Dieu. Comment se satisfaire, intellectuellement, d’une telle démarche ? (p.110).

D’abord, je rejette l’affirmation que l’on comprenne Dieu encore moins que l’univers, la vie, ou la conscience. Mais même si c’était le cas, les expliquer par l’existence de Dieu resterait une démarche tout à fait appropriée. Si le premier homme sur Mars trouve des artéfacts de technologie avancée, il en déduira raisonnablement qu’il y a des martiens, dont il ne saura presque rien. Il comprendra alors encore moins les martiens que leurs outils, mais sa conclusion que les martiens existent sera quand même justifiée. Comte-Sponville s’exclame ensuite :

Sur Dieu, je ne comprends rien—puisqu’il est par définition incompréhensible ! (p.111)

C’est une confusion sur le sens de « incompréhensible ». On ne peut pas tout comprendre sur Dieu, mais il ne s’ensuit pas qu’on ne puisse rien comprendre ! Comte-Sponville lance au passage l’allégation que la bible et le coran sont « pleins de niaiseries et de contradictions », mais comme il ne nous offre aucun argument à cet effet, il n’y a rien à réfuter ici. Il continue (p.114) :

Si l’absolu est inconnaissable, qu’est-ce qui nous permet de penser qu’il est Dieu ?

Même erreur. Dieu n’est pas inconnaissable (et donc « l’absolu » n’est pas inconnaissable). Notre savoir de Dieu n’est pas compréhensif, c’est à dire qu’il n’est pas complet, mais Dieu est compréhensible.

André Comte-Sponville passe enfin plusieurs pages (d’environ 115 à 118), à critiquer le fait que le concept de Dieu soit « antropomorphique », c’est à dire qu’il soit partiellement à l’image des hommes. Il n’est pour moi vraiment pas clair de savoir quel problème c’est supposé poser. Certains attributs de Dieu sont aussi des attributs humains, d’autres pas. Certains sont aisément compréhensibles, d’autres pas. Et donc ? Ce n’est certainement pas une raison de ne pas croire en son existence. La raison numéro trois d’André Comte-Sponville pour affirmer l’athéisme n’a donc pas plus de succès que les deux premières.

Enfin, je conclue en remarquant que les deux raisons qui nous ont été ici offertes, sont au final mutuellement exclusives. La deuxième, si elle est vraie, sape la première. En effet, si le concept de Dieu est complètement incompréhensible, alors il n’est pas raisonnable d’avoir des attentes cohérentes au sujet de ce que Dieu devrait faire ou ne pas faire. Quand André Comte-Sponville s’attend à ce que Dieu lui donne plus de preuves ou plus d’expériences, il présuppose bien que le concept de Dieu ne soit pas complètement incompréhensible. Ses deux arguments athées, déjà faibles individuellement, perdent donc encore en plausibilité, lorsqu’ils sont offerts conjointement.

En conclusion, la « faiblesse des expérience » et le problème du « Dieu incompréhensible » ne sont pas de bonnes raisons de croire que Dieu n’existe pas. Dans la prochaine partie, nous verrons cependant un argument athée beaucoup plus sérieux, le « problème du mal ».

>>> Partie 11

« Poésie athée contre logique théiste » L’argument cosmologique – Partie 8 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 7

Le deuxième argument en faveur de l’existence de Dieu qui est critiqué par André Comte-Sponville est la preuve cosmologique, « par la contingence du monde » (p.90). Cet argument, développé par Gottfried Leibniz, commence par poser la question: « Pourquoi existe-t-il un univers, plutôt que rien du tout? » L’argument se base sur le principe que « tout ce qui existe doit avoir une raison de son existence (soit par une nécessité de sa propre nature, soit par une cause externe) ». Cette thèse est appelée le « principe de la raison suffisante », et semble en effet bien plausible : si une chose existe mais aurait pu ne pas exister (c’est à dire qu’elle existe de manière contingente), alors il doit y avoir une raison suffisante pour expliquer pourquoi elle existe plutôt que le contraire.

L’argument constate ensuite que l’univers est contingent : il aurait pu ne pas exister. Il aurait été cohérent que rien n’existe du tout, et il n’y a donc aucune raison de penser que l’univers physique que nous observons soit nécessaire, c’est à dire qu’il soit impossible qu’il n’existe pas. Une autre raison de penser que l’univers est contingent provient du fait que l’univers ait eu un commencement. S’il n’est pas éternel dans le passé, s’il a commencé à exister, il était clairement possible qu’il n’existât pas. Je note au passage que techniquement, il existe deux preuves indépendantes et importantes dites « cosmologiques » : celle qu’André Comte-Sponville critique ici, par la contingence du monde (défendue par Leibniz), et une autre distincte, par le commencement du monde, défendue de manière contemporaine par William Lane Craig. Cette dernière s’appelle la preuve cosmologique « de Kalaam », et Comte-Sponville ne semble pas la connaître, ou du moins ne la mentionne pas. C’est un trou important dans sa défense, car il s’agit d’un autre argument théiste puissant auquel il ne répond pas, mais comme il traite au moins de la version Leibnizienne, voyons ce qu’il a à dire au sujet de celle-ci, et je ne m’attarderai pas trop sur la version de Kalaam.

L’univers, Leibniz remarquait, est donc contingent. Mais alors si le principe de raison suffisante est vrai, il s’ensuit logiquement que l’univers doit avoir une explication de son existence, dans une cause extérieure. Quel type de cause ? Puisque l’univers est la totalité du monde spatio-temporel, sa cause doit être transcendante, immatérielle, non-spatiale, atemporelle, incroyablement puissante, et ayant créé l’univers. Cet argument établit ainsi l’existence d’un être avec un bon nombre des propriétés de Dieu, et dont l’existence ne peut pas être admise par un athée cohérent. C’est donc un argument théiste assez puissant.

Qu’en dit alors André Comte-Sponville ? Il commence par reconnaître sa force, en admettant :

Des trois « preuves » classiques de l’existence de Dieu, c’est la seule qui me paraisse forte, la seule qui, parfois, me fasse hésiter ou vaciller. Pourquoi ? Parce que la contingence est un abîme, où la raison se perd. Un vertige, toutefois, ne fait pas une preuve (p.91).

Pour ceux qui trouveraient cette réponse déroutante, revoyons l’action au ralenti : « La contingence est un abîme où la raison se perd ». C’est une bien belle métaphore poétique, mais une piètre réponse à un argument logique. Je concède bien qu’un « vertige » ne fasse pas une preuve, mais l’argument cosmologique n’est pas un « vertige », c’est un argument déductif logiquement valide, avec deux prémisses vraies et plausibles. Il me semble bien que cela fasse une preuve. André Comte-Sponville continue avec la poésie, et s’en prend à la raison :

Pourquoi la raison – notre raison – ne se perdrait-elle pas dans l’univers, s’il est trop grand pour elle, trop profond, trop complexe, trop obscur ou trop lumineux ?

Encore une fois, la poésie est charmante, mais inadéquate pour répondre à un argument logique. L’univers physique est-il contingent, oui ou non ? Il n’y a aucun rapport entre sa contingence et sa taille, ou sa profondeur, sa complexité, son obscurité ou sa luminosité. Imaginez si les rôles étaient inversés : si le penseur chrétien (moi, en l’occurrence), devant les arguments athées, commençait à attaquer la raison, en disant poétiquement que la raison se promène dans le grand univers et se perd dedans… On n’entendrait plus que cela : « les croyants sont irrationnels, les athées ont la raison dans leur camp, etc. » Je ne vois pas pourquoi l’attaque de la raison serait plus respectable quand elle vient de la plume d’un athée faisant face à un argument logique en faveur de l’existence de Dieu.

Comte-Sponville poursuit sa critique de la raison en l’emmenant ensuite dans une direction plus intéressante, lorsqu’il demande :

Qu’est-ce qui nous prouve, même, que notre raison ne déraisonne pas ?

D’un côté, cette question est évidemment impertinente dans le contexte de notre argument, puisque l’on pourrait dire exactement la même chose de n’importe quel argument : tout argument présuppose que notre raison fonctionne correctement pour évaluer l’argument. Mais Comte-Sponville ajoute au sujet de notre raison que

Seul un Dieu pourrait la garantir et c’est ce qui interdit à notre raison d’en prouver l’existence de Dieu, qui garantit la véracité de notre raison.

Intéressant ! Cette tentative est révélatrice, car je suis en fait d’accord avec lui, que seul Dieu garantit la fiabilité de nos facultés cognitives. En effet, si Dieu existe, lorsqu’il créé l’homme, il le façonne avec des capacités intellectuelles qui, lorsqu’elles fonctionnent proprement, sont destinées à accéder et croire la vérité. Si Dieu n’existe pas, en revanche, nos cerveaux ont alors été façonnés par le processus darwinien de mutations aléatoires et sélection naturelle, dans le but non pas de produire des connaissances véritables, mais d’assurer notre survie et notre reproduction. Et tant qu’une croyance assure notre survie, la sélection naturelle se moque bien de savoir si cette croyance est vraie. C’est donc une raison de douter de la fiabilité de nos capacités intellectuelles si Dieu n’existe pas. N’est-il pas remarquable que Comte-Sponville l’affirme ici ? Présupposer la fiabilité de notre raison, c’est présupposer l’existence de Dieu. Mais donc comme notre argument cosmologique présuppose la fiabilité de notre raison, Comte-Sponville nous accuse de présupposer l’existence de Dieu ! Ma réponse sera simple : oui, je présuppose évidemment que notre raison est fiable en offrant mon argument, mais la fiabilité de notre raison ne devrait pas être une prémisse disputable. C’est une prémisse qu’André Comte-Sponville concède lui même ouvertement dès lors qu’il s’engage en débat avec le croyant, dans la mesure ou c’est évidemment une présupposition de tout argument logique. La fiabilité de notre raison est donc une présupposition d’André Comte-Sponville lui-même, lorsqu’il engage les arguments théistes en écrivant un livre de philosophie ! Si la raison humaine n’est pas fiable, pourquoi raisonner avec le lecteur de L’esprit de l’athéisme ? Clairement, il présuppose que la raison humaine est fiable, et donc s’il ajoute maintenant que seul Dieu peut le garantir, il ne nous offre pas une raison de douter de l’argument cosmologique ou de la fiabilité de notre raison ; ce qu’il nous offre, c’est une raison supplémentaire de croire que Dieu existe. À la bonne heure.

Il reprend ensuite sa critique poétique de l’argument cosmologique :

Que notre raison, devant l’abîme de la contingence, perde pied, ou soit saisie de vertige, cela explique que nous cherchions un fond, pour cet abîme ; cela ne saurait prouver qu’il en a un (p.92).

Mais personne ici ne « perd pied » ou n’est « saisi de vertige ». Je n’arrive toujours pas à savoir s’il admet que l’univers soit contingent. Il en a l’air, mais il est tellement vague que je ne suis pas sûr. Ensuite il a l’air de rejeter le principe de raison suffisante pourtant si plausible :

Le nerf de la preuve cosmologique, c’est le principe de raison suffisante, qui veut que tout fait ait une raison d’être, qui l’explique.

Entre parenthèse, je pense que cette formulation du principe est bien trop ambitieuse, je dirais plutôt simplement que toute chose qui existe a une raison de son existence, c’est plus modeste.

Il poursuit:

Pourquoi le monde ? Parce que Dieu. C’est l’ordre des causes. Pourquoi Dieu ? Parce que le monde. C’est l’ordre des raisons. Mais qu’est-ce qui nous prouve qu’il y ait un ordre et que la raison ait raison ?

Soit cette phrase n’a aucun sens, soit elle admet une réponse triviale. Par définition, ce qu’il appelle ici « la raison » a raison ; si elle n’avait pas raison ce ne serait pas « la raison ». Il demande encore :

Pourquoi n’y aurait-il pas de l’absolument inexplicable ? Pourquoi la contingence n’aurait-elle pas le dernier mot, ou le dernier silence ?

Et revoilà la poésie. Que veut dire pour la contingence d’avoir « le dernier mot ou le dernier silence » ? j’avoue ne pas savoir. Il ajoute :

ce serait absurde ? Et alors ? Pourquoi la vérité ne le serait-elle pas ?

Ma réponse : parce que c’est la définition de la vérité même, qui nécessite qu’elle ne soit pas absurde. La loi de non-contradiction dit que si deux propositions se contredisent, affirmer les deux est absurde, c’est incohérent, c’est faux, car elles ne peuvent pas être vraies toutes deux en même temps. Et si André Comte-Sponville rejette maintenant les lois de la logique, je répète qu’il est futile d’écrire un livre de philosophie analytique rempli d’arguments logiques tel que L’esprit de l’athéisme.

Mais il corrige ensuite son langage trop fort pour reprendre sa concession d’absurde. Il fait une brève marche arrière et reformule :

D’ailleurs, ce serait moins absurde que mystérieux, et la vérité, pour tout esprit fini, l’est assurément (p.92).

Donc, pour résumer, il semble admettre que l’univers soit contingent, il rejette le principe de raison suffisante (sans aucune raison si ce n’est son souhait de nier l’existence de Dieu), dit que c’est mystérieux, et admet tacitement que si le principe de raison suffisante était vrai, il devrait exister un être nécessaire. Ce sont certes de fortes concessions devant l’argument cosmologique, mais il critique ensuite la valeur théologique de cette conclusion :

Au demeurant, quand bien même on donnerait raison à Leibniz, et au principe de raison, cela prouverait seulement l’existence d’un être nécessaire. Mais qu’est-ce qui nous prouve que cet être soit Dieu, je veux dire un Esprit, un sujet, une Personne (ou trois) ?

Encore une fois, j’admets bien que l’argument ne prouve pas la doctrine de la trinité, mais il nous donne plus que la nécessité de cet être : cet être est la cause extérieure de l’univers, qui doit donc être (comme je l’expliquais ci-dessus) nécessaire, atemporelle, éternelle, extrêmement puissante, et j’ajoute maintenant en réponse à Comte-Sponville que oui, elle doit aussi être « personnelle ». Pourquoi ? Parce qu’elle est immatérielle, et qu’il n’y a que deux sortes de candidats possibles dans l’ensemble des choses immatérielles : cela pourrait être soit une âme personnelle, soit un objet abstrait (tel que les nombres, les ensembles, les propositions, etc…) Mais les objets abstraits ne peuvent rien causer, or cet être est supposé être la cause de l’univers, ce qui par élimination nous donne un être personnel, immatériel, créateur de l’univers. Qu’on le nomme « Dieu » ou pas, aucun athée ne peut admettre une telle conclusion et garder sérieusement le nom d’athée.

André Comte-Sponville s’en prend alors au concept même de contingence, et démontre malheureusement une incompréhension de la logique modale, à savoir la logique du possible et de l’impossible, du nécessaire et du contingent (qui est évidemment employée par l’argument cosmologique par la contingence du monde). Il annonce :

Le monde aurait pu ne pas être ? Certes, mais pour l’imaginaire seulement et tant qu’il n’était pas (c’est ce qu’indique cet irréel du passé : aurait pu) point en lui-même et tant qu’il est.

Évidemment. Si c’est une objection, elle est confuse. Lorsque l’on annonce que l’univers aurait pu ne pas être, on entend bien que si ça avait été le cas, alors il n’aurait pas été tel qu’il est en vrai. Il n’y a aucune objection ici ; l’univers existe, vraiment, et il aurait pu, contrairement à ce qui est vrai dans le monde présent, ne pas exister : en bref, il est contingent.

Au présent, le réel ne connaît que l’indicatif, ou plutôt l’indicatif présent est le seul temps du réel, qui le voue à la nécessité

Non, pas du tout. Le réel peut être réel et nécessaire, réel et contingent, mais en aucun cas la simple réalité n’implique la nécessité, et qu’un philosophe professionnel se prenne les pieds dans le tapis au sujet de ces concepts philosophiques fondamentaux est assez surprenant.

Parce que tout serait écrit à l’avance ? Nullement. Mais parce que tout est, et ne saurait (au présent) être autre chose. Le principe d’identité y suffit : ce qui est ne peut pas ne pas être, puisqu’il est. C’est le vrai principe de raison, et le seul peut-être.

C’est encore confus. Lorsque l’on cherche à savoir si une chose vraie est contingente, on évalue si elle aurait pu être différente dans un autre monde possible, mais la possibilité alternative envisagée ne maintient évidemment pas en place l’état d’affaire réel, elle suppose une altération qui aurait expliqué une différence, et on considère alors la cohérence de ce scénario alternatif; pas sa compatibilité en tous points avec notre monde réel !

Le possible ? C’est du réel ou ce n’est pas. La contingence n’est que l’ombre portée du Néant ou de l’imaginaire – ce qui ne fut pas, ce qui aurait pu être – dans l’immense clairière du devenir ou de l’être (ce qui fut, ce qui est, ce qui sera).

Et revoilà la poésie. Je confesse ne pas pouvoir analyser ses affirmations sur les ombres portées dans des clairières. Enfin, André Comte-Sponville revient à une critique traditionnelle (et un peu plus sérieuse) de l’argument, lorsqu’il objecte (p.95):

C’est la grande question de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » La question va au-delà de Dieu, puisqu’elle l’inclut. Pourquoi Dieu plutôt que rien ?

Mais la réponse est triviale : pourquoi le principe de raison suffisante ne requiert-il pas que Dieu ait une cause ? Parce que Dieu, par définition, existe par une nécessité de sa nature ; c’est un être nécessaire, chose que l’on ne peut pas affirmer au sujet de l’univers qui est contingent. Il anticipe cette réponse, et rétorque :

Penser l’être comme nécessaire, ce n’est pas davantage l’expliquer ; c’est constater qu’il ne s’explique que par lui même … , ce qui le rend, pour nous et à jamais, inexplicable.

Ce n’est pas tout à fait juste ; Dieu a une explication : son existence est expliquée par la nécessité de sa nature. Cela dit, j’admets bien qu’il y a dans l’existence nécessaire de Dieu un brin de mystère et d’émerveillement, mais au moins le concept reste cohérent ; alors que dans la vue athée, on a une contradiction entre le principe de raison suffisante et un univers contingent qui existerait sans explication, ce qui serait incohérent. C’est ce qui fait que l’argument cosmologique est un bon argument, et je pense avoir établi ici que sa critique par André Comte-Sponville est un échec. L’univers est contingent, il a même eu un commencement, deux propriétés qui requièrent l’existence d’une cause, un être transcendant, créateur de l’univers, immatériel, atemporel, nécessaire, et très puissant, que les chrétiens appellent Dieu, créateur du ciel et de la terre.

Dans la partie suivante, nous passerons en revue le dernier argument théiste discuté par André Comte-Sponville : la preuve physico-théologique, ou argument du dessein intelligent.

>>> Partie 9

« Drôle de preuve » L’argument ontologique – Partie 7 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 6

La première des six raisons offertes par André Comte-Sponville pour soutenir l’athéisme est « la faiblesse des arguments théistes ». Je remarquais dans la partie précédente que logiquement, même si les arguments théistes échouaient, cela ne montrerait pas que Dieu n’existe pas, car l’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence. Mais tournons nous quand même vers les arguments théistes en question, pour apprécier qu’il existe au contraire de bonnes raisons de croire en Dieu, et pour voir comment André Comte-Sponville tente d’éviter logiquement leurs conclusions théistes. Traitons les dans le même ordre que lui. Il commence ainsi (p.87) : « la première est la plus déroutante ». Il s’agit de la « preuve ontologique » (l’ontologie est l’étude de la nature de « l’être »). Je note en passant que j’utilise les mots « preuve » et « argument » de manière interchangeable, sans y voir de différence de sens : dans notre contexte, une preuve (ou un argument) est une suite de considérations logiques tentant d’établir une conclusion justifiée (dans notre cas, l’existence de Dieu). L’argument ontologique, donc, est en effet intriguant. Il s’agit d’un argument très ancien, initialement offert par Anselme, qui commence par considérer le concept même de Dieu. Dieu, par définition, est supposé être un être maximalement excellent, c’est à dire un être dont on ne puisse pas concevoir qu’il en existe un plus excellent. A partir de cette définition, Anselme dit alors que si un être excellent n’existait que dans nos idées, ce serait moins excellent que d’exister en vrai. Un tel être qui aurait toutes les perfections que l’on imagine et qui en plus existerait vraiment, serait plus excellent que celui qu’on ne fait qu’imaginer. Et donc, Anselme conclut, si l’être maximalement excellent que l’on imagine dans nos têtes est bien maximalement excellent, il s’ensuit logiquement qu’il n’existe pas que dans nos têtes, mais existe en vrai. Et donc il conclut qu’un être maximalement excellent existe en vrai ! … -Pardon ?! C’est allé un peu vite, dira-t-on sans doute. J’ai tendance à être d’accord avec André Comte-Sponville quand il dit que l’argument ontologique est une « preuve étonnante, fascinante, agaçante » (p.89). C’est un argument purement conceptuel, qui ne se base pas sur une observation dans le monde, mais juste sur le concept de Dieu, et sur la logique. C’est selon moi un puzzle amusant, souvent difficile à résoudre pour l’athée, mais comme il est un peu bizarre, son poids est assez limité dans un débat entre croyants et athées, et ce n’est de loin pas l’argument que j’utiliserais en premier. Comte-Sponville dit que c’est une « drôle de preuve, qui ne convainc…que les convaincus ! » (p.89). C’est bien possible, et donc comme je le disais, cet argument n’est pas mon favori, mais il reste un puzzle logique intéressant à résoudre pour le philosophe athée, et il se trouve que la critique de Comte-Sponville au sujet de cet argument est invalide. Alors permettez moi de défendre l’argument, ne serait-ce que pour souligner l’échec de Comte-Sponville. Pour cela, je vais offrir la formulation un peu plus rigoureuse de l’argument, défendue de manière contemporaine par Alvin Plantinga, qui procède ainsi :

(1) Il est possible qu’un être maximalement excellent existe

(2) S’il est possible qu’un être maximalement excellent existe, alors il existe dans un monde possible (c’est ce que signifie « être possible »)

(3) Si un être maximalement excellent existe dans un monde possible, alors il existe dans tous les mondes possibles (car il est plus excellent d’exister nécessairement que d’exister de manière contingente)

(4) Si un être maximalement excellent existe dans tous les mondes possibles, alors il existe dans le monde réel (ça va de soi)

(5) Conclusion : Donc un être maximalement excellent existe dans le monde réel.

Et voilà !

A mon sens, les prémisses (2) à (4) sont incontestables logiquement, et donc la meilleure chance pour l’athée qui veut rejeter la conclusion en (5), est de disputer la vérité de la prémisse (1). Cette prémisse reste plausible à mes yeux: le concept d’un être maximalement excellent me semble cohérent, ne le pensez-vous pas ? Il est donc possible qu’un tel être existe, et ensuite, le reste de l’argument ontologique montre que si c’est possible, alors c’est vrai, et Dieu existe. L’athée doit donc affirmer que l’existence d’un être maximalement excellent n’est pas seulement fausse, mais est aussi logiquement impossible, telle un célibataire marié ou un triangle carré. Cela me semble assez extrême et peu plausible, mais c’est la meilleure voie à prendre pour un athée sensible qui rejette l’argument.

Malheureusement, ce n’est pas la critique qu’offre André Comte-Sponville. Alors que dit-il ? Il demande en page 89 :

comment une définition pourrait-elle prouver une existence ? Autant prétendre s’enrichir en définissant la richesse . . . Il n’y a rien de plus dans mille euros réels, explique à peu près Kant, que dans mille euros possibles (le concept, dans les deux cas, est le même) ; mais je suis cependant plus riche avec mille euros réels « qu’avec leur simple concept ou possibilité ». Même chose s’agissant de Dieu : son concept reste le même, que Dieu existe ou pas, et ne saurait donc prouver qu’il existe.

Oui, mais non. Tout d’abord, ce n’est pas seulement une définition qui établit l’existence de Dieu, c’est la définition plus l’affirmation supplémentaire de la prémisse (1), qui maintient que l’être décrit par cette définition est logiquement possible. Et ensuite, le parallèle supposé absurde avec les richesses ne tient pas, puisque le concept de 1000 euros n’inclut pas l’existence nécessaire. Les richesses ne sont pas par définition maximalement excellentes, et donc si elles existent de manière contingente dans un monde possible, il ne s’ensuit pas du tout qu’elles existent de manière nécessaire dans tous les mondes possibles, contrairement à un être maximalement excellent. La contre-preuve par l’absurde de Comte-Sponville est donc un échec.

Il offre ensuite une objection un peu plus convaincante : « L’être n’est ni une perfection supplémentaire, malgré Descartes, ni un prédicat réel : il n’ajoute rien au concept ni ne peut en être déduit » (p.89). Oui, c’est une critique assez fréquente de l’argument : dire qu’en soi, l’existence n’est pas une perfection supplémentaire, me semble aller dans la bonne direction, et cela réfute peut-être même la version de l’argument offerte par Descartes, mais malheureusement pas celle de Plantinga que j’offrais ci-dessus. Cette version que je défends ne présuppose jamais que l’existence est un prédicat ou une perfection supplémentaire. Elle dit juste que l’existence nécessaire est un prédicat (c’est clairement le cas), et une perfection, c’est à dire qu’elle est plus excellente que l’existence contingente. Cela me semble éminemment plausible : si deux êtres excellents presque identiques existent tous deux, l’un de manière nécessaire et l’autre de manière contingente, il me semble plausible de dire que celui qui est nécessaire soit plus excellent que celui qui n’est que contingent. L’argument ontologique formulé ainsi tient donc très bien la route à ce point, et la critique de Comte-Sponville manque la cible.

André Comte-Sponville ajoute (p.90) que « L’argument ontologique est désormais derrière nous plutôt que devant », ce qui est à la fois faux, et impertinent. Même si l’argument était tombé aux oubliettes, cela ne nous dirait rien concernant sa validité, mais de toutes façons, l’argument est aujourd’hui encore défendu de main de maître par Alvin Plantinga, William Lane Craig, et Robert Maydole, par exemple. Les rumeurs de son décès ont été grandement exagérées.

Enfin, Comte-Sponville critique l’étendue de la conclusion de l’argument, en disant que même si l’argument prouvait ce qu’il prétend prouver, cela ne serait pas suffisant pour affirmer l’existence de Dieu. Il annonce (p.90): « quand bien même l’argument prouverait, comme le voulait Hegel, l’existence d’un être absolument infini, qu’est-ce qui nous prouverait que cet être fût un Dieu ? Ce pourrait être aussi bien la Nature, comme le voulait Spinoza, autrement dit un être infini, certes, mais immanent et impersonnel, sans volonté, sans finalité, sans providence, sans amour…Je doute que cela satisfasse nos croyants. »

Permettez moi d’offrir trois réponses :

Premièrement, il déforme la conclusion de l’argument. Il ne s’agit pas d’un être « absolument infini », mais « maximalement excellent ». Il y a donc un bon nombre de propriétés divines qui découlent de l’excellence, et non pas simplement de l’aspect « infini » de cet être.

Deuxièmement, et n’en déplaise à Spinoza, la nature n’est en fait pas infinie. L’univers physique, notre monde naturel, est fini dans le temps et dans l’espace. Nous y reviendrons dans la prochaine partie, en défendant « l’argument cosmologique » pour l’existence du Dieu créateur.

Et enfin, troisièmement, je suis d’accord que pour les autres propriétés, on n’obtienne pas tout ce que souhaiterait le croyant chrétien : un être maximalement excellent n’est pas forcément une trinité, ce n’est pas nécessairement l’auteur de la Bible, etc. Mais si cet être maximalement excellent possède tel qu’on le suppose toutes les perfections, cela inclut l’éternité, l’amour, l’omnipotence, l’omniprésence, l’omniscience, etc. Le Dieu chrétien n’est pas bien loin !

André Comte-Sponville offre alors (p.89) une conclusion prématurée avec une affirmation époustouflante :

Bref, cette « preuve » n’en est pas une. Et comme toutes les autres, montre Kant, se ramènent à elle (elles supposent toujours qu’on puisse passer du concept à l’existence), il n’y a pas de preuve de l’existence de Dieu : celle-ci peut être postulée, non démontrée ; elle est l’objet de foi, non de savoir.

Pas si vite ! Cette dernière affirmation est sans mérite. Même l’argument ontologique que j’ai défendu ci-dessus ne commet pas forcément la faute dont Comte-Sponville l’accuse, mais dans tous les cas, l’affirmation (attribuée à Kant ?) que tous les autres arguments en faveur de l’existence de Dieu commettent la même offense est absurde. Nous avons déjà vu et défendu dans des parties précédentes l’argument moral pour l’existence de Dieu, et il ne faisait rien de tel. Les autres arguments que nous allons voir ensuite ne le font pas non plus, et donc leur réjection a priori par Comte-Sponville ne tient pas la route. Au contraire, il va lui falloir réfuter les arguments théistes au cas par cas, et, heureusement, Comte-Sponville s’y attelle. Alors poursuivons: nous avons vu ici que l’argument ontologique survivait très bien la critique d’André Comte-Sponville, voyons dans la prochaine partie ce qu’il a à dire sur « l’argument cosmologique ».

>>> Partie 8

« Faute de preuve » Quelques préliminaires sur les arguments théistes – Partie 6 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 5

La deuxième partie du livre L’esprit de l’athéisme tente de répondre à la question « Dieu existe-t-il » ? C’est un vrai plaisir de voir André Comte-Sponville engager la question sérieusement, en offrant des arguments clairs, avec lesquels le penseur chrétien peut donc interagir intellectuellement et rigoureusement. Pour répondre « non » à cette question, André Comte-Sponville nous offre ainsi pas moins de 6 raisons :

1-La faiblesse des arguments théistes

2-La faiblesse des expériences de Dieu

3-L’incompréhensibilité de Dieu

4-Le problème du mal

5-La médiocrité de l’homme

6-Le désir humain suspect envers l’existence de Dieu

Nous allons y répondre dans l’ordre, en commençant donc par son traitement des arguments théistes et leur soi-disant faiblesse, mais avant de nous lancer dans une revue de ces arguments, j’aimerais faire quelques remarques préliminaires sur la nature d’un tel débat, et là encore je me retrouve à féliciter Comte-Sponville qui se distingue très positivement, méritant mon respect lorsqu’il affirme 3 choses importantes : 1- il reconnaît qu’il existe des arguments théistes méritant une réponse, 2- il reconnaît que le mal causé par les religions est impertinent, et 3-il reconnaît qu’au delà des arguments, il a aussi des raisons non rationnelles de ne pas croire, bien qu’elles ne soient pas pertinentes dans un livre de philosophie. Quelle sobriété !

En page 85, lorsqu’il se tourne vers les arguments en faveur de l’existence de Dieu, il note bien : « Ils pourraient être fort nombreux : vingt-cinq siècles de philosophie ont accumulé, pour les deux camps, un argumentaire à peu près inépuisable ». Oui ! Alors évidemment, au final, Comte-Sponville trouve que les arguments théistes classiques ne sont pas convaincants, mais au moins il ne les ignore pas, et dans le monde francophone, c’est assez rare ; alors je lui tire mon chapeau.

Il affirme ensuite à bon escient (p.85-86) que tout le mal commis par les croyants est impertinent :

« Je laisse de côté, délibérément, tout ce qu’on peut reprocher aux religions ou aux Églises, certes toujours imparfaites, certes détestables souvent, criminelles parfois, mais dont les errements ne touchent pas au vif de la question. L’inquisition ou le terrorisme islamiste, pour ne prendre que deux exemples, illustrent clairement la dangerosité des religions, mais ne disent rien sur l’existence de Dieu ». Oui Monsieur. Nous sommes entièrement d’accord. Il conclut (p.86) : « que toutes [les religions] aient du sang sur les mains, cela pourrait rendre misanthrope, mais ne saurait suffire à justifier l’athéisme, lequel, historiquement, ne fut pas non plus sans reproches, spécialement au XXe siècle, ni sans crimes. » Exactement : le mal commis par les athées n’est pas plus pertinent que celui commis par les croyants, l’existence ou l’inexistence de Dieu doit se régler sur un autre terrain, celui de la raison.

Mais, et c’est encore une excellente remarque de Comte-Sponville, il y a aussi des motivations non-rationnelles pour croire ou ne pas croire. Elles sont importantes aussi, et tout penseur honnête doit les reconnaître, ce que Comte-Sponville faisait dans cette citation déjà rapportée dans une partie précédente : « Pourquoi ne crois-je pas en Dieu ? Pour de multiples raisons, dont toutes ne sont pas rationnelles … S’agissant ici d’un livre de philosophie, et non d’une autobiographie, on m’excusera de m’en tenir aux arguments rationnels » Absolument.

Ayant félicité Comte-Sponville sur tous ces points importants, je note quand même un ou deux éléments critiquables. Lorsqu’il se tourne vers les arguments en faveur de l’existence de Dieu, il sous-estime leur importance. Il parle (p.87) des « prétendues « preuves » de l’existence de Dieu ». Pourquoi le dédain ? On les accepte ou pas, mais ce sont des arguments philosophiques importants et respectables, discutés de manière sérieuse dans les journaux professionnels philosophiques. A leur sujet, il annonce bizarrement : « je ne veux pas m’y attarder ». Pourquoi ? C’est la partie la plus importante pour un philosophe. C’est comme si un historien ne s’attardait pas sur les preuves historiques, si un poète ne s’attardait pas sur les vers, ou si un chef ne s’attardait pas sur les recettes. C’est le cœur du métier ! Il justifie ce choix en annonçant : « il y a bien longtemps que les philosophes, même croyants, ont renoncé à prouver Dieu ». Ah ? Personnellement, je n’ai pas entendu sonner le clairon de la retraite. Au contraire, les arguments philosophiques en faveur de l’existence de Dieu sont passionnément défendus aujourd’hui plus que jamais, particulièrement dans la littérature anglo-saxonne, par des pointures comme Alvin Plantinga, William Lane Craig, Richard Swinburne, et des centaines d’autres avec eux. Par ailleurs, c’est une voie à deux sens : les arguments athées d’André Comte-Sponville ne peuvent pas être rejetés sous prétexte que les philosophes athées auraient renoncé à « prouver » que Dieu n’existe pas. D’un côté comme de l’autre, il faut évaluer les arguments philosophiques, un point c’est tout.

Enfin, il faut remarquer que la soi-disant « faiblesse des arguments théistes » n’est, logiquement, pas suffisante pour établir l’athéisme. Même si tous mes arguments en faveur de l’existence de Dieu s’avéraient être pathétiquement invalides, il ne s’ensuivrait pas un instant que Dieu n’existe pas. Tout ce que ça montrerait, c’est que je suis un piètre défendeur de ma foi, mais cela ne dirait rien au sujet de Dieu. L’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence, et donc même s’ils étaient faibles, l’échec de ces arguments ne serait pas une bonne raison d’adopter l’athéisme. Mais en fait, comme je maintiens qu’au contraire ces arguments sont excellents, cela nous donne une occasion de les défendre contre la critique d’André Comte-Sponville, et donc de constater qu’il existe de solides raisons logiques de croire que Dieu existe.

Je note cependant que tous les arguments théistes ne sont pas un succès. Par exemple, en pages 100-101, Comte-Sponville critique un argument attribué à Descartes (est-ce une version de l’argument ontologique ?), qui m’a l’air en effet plus que douteux : « Je trouve en moi l’idée de Dieu, comme Être infini et parfait ; cette idée, comme toute chose, doit avoir une cause ; et comme « il doit y avoir au moins autant de réalité dans la cause que dans son effet », cette cause doit être elle même infinie et parfaite : ce ne peut être que Dieu ».

Je suis d’accord que ce n’est pas un bon argument. L’idée de Dieu dans sa tête pourrait être fausse, et s’expliquer par le simple fait qu’il soit confus, sans que Dieu soit la cause de son idée. Je n’achète donc pas cet argument. Mais d’autres sont tout à fait solides : nous avons déjà vu l’argument moral ci dessus, il y a aussi l’argument cosmologique, l’argument physico-théologique (parfois appelé téléologique, c’est à dire l’argument du dessein), l’argument ontologique, tous ceux ci méritent d’être évalués, je les défends moi même, et il se trouve que Comte-Sponville interagit avec tous ceux là, donc nous avons un bon désaccord à régler par les arguments. Passons les en revue un par un en suivant l’ordre choisi par Comte-Sponville, qui commence par « l’argument ontologique », que nous traiterons dans la partie suivante.

>>> Partie 7

Une vierge, Une souris et la biologie – Réflexion sur la naissance virginale de Jésus

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J’aimerais simplement faire quelques réflexions pour ce temps des fêtes concernant Noël. On proclame beaucoup que « le sauveur est né », mais on se soucie souvent moins du contexte dans lequel il est né. Soyons directs : il est né d’une vierge !

Peut-on croire que Jésus est né d’une vierge? Il est évident que deux visions s’affrontent aujourd’hui. D’une part, ceux qui croient que tout ce qui existe est matériel (matérialiste ou naturaliste) et d’autre part ceux qui croient en l’existence du surnaturel. Et l’argument le plus souvent avancé aujourd’hui contre la naissance virginale de Jésus provient de la science : c’est une impossibilité biologique. Ou encore, c’est hautement improbable.

La biologie aujourd’hui est une science développée qui nous montre pratiquement dans les détails comment un enfant est conçu. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que ça prend toujours un mâle et une femelle pour concevoir un enfant. Une conception virginale demande d’avoir une espèce de génération spontanée du « sperme masculin », ce qui va à l’encontre des lois de la biologie. Aucune expérimentation en laboratoire n’a pu reproduire cela. D’un point de vue purement matériel : Ça ne se peut pas!

Si nous analysons la façon dont un humain est conçu, nous voyons qu’à tous les coups la conception est faite avec mâle et femelle. Et avec la masse d’évidence reproduite des millions de fois nous avons cette loi biologique. Mais est-elle une loi absolue? Le fait qu’une chose ne puisse être reproduite en laboratoire ne signifie pas qu’elle ne se soit jamais produite. Dans chaque cas de reproduction, il existe une tonne de variables à tenir en compte.

Dans le cas d’une naissance virginale, il y a une variable que le modèle matérialiste ne prend pas en compte : Dieu. La réalité de Dieu agissant réellement dans l’histoire. Il faut l’inclure dans notre modèle, car ceux qui revendiquent ce genre de naissance pour Jésus l’incluent. Voyez-vous un scientifique peut discuter de la probabilité ou l’improbabilité d’une théorie, mais jamais son impossibilité. Car pour cela il faudrait qu’il connaisse toutes les lois qui régissent l’univers. Nous sommes en présence d’un événement unique, qui relève beaucoup plus de l’histoire que de la science en laboratoire. La science s’intéresse à ce qui se produit de façon répétitive, non aux événements uniques.

En fin de compte, l’argument contre les chrétiens concernant le miracle, c’est qu’il implique un événement unique. Mais nier un événement parce qu’il est unique n’est pas faire preuve d’un esprit scientifique, mais plutôt de préjugé. Il suffit de penser à l’origine de l’univers qu’ils nomment eux même « singularité ». C’est un terme scientifique pour parler d’un événement unique, pourtant. Peut-on l’étudier? Avant d’étudier des centaines de souris pour voir comment la conception se fait, il faut étudier une souris. De même, avant d’analyser la vie de Jésus il faut accepter le premier. Car la vie au complet de Jésus est une série d’événements uniques. Ceux qui ont entouré Jésus durant sa vie ont été surpris eux aussi de ce qui passait. Beaucoup avaient du mal à croire ce qui se passait, malgré le fait qu’ils étaient dans une société ou la valeur commune était l’existence de Dieu. Ils n’étaient pas matérialistes, alors imaginez nous!

La foi chrétienne tient ferme ou s’écroule avec le caractère unique de Jésus-Christ! Jésus-Christ est unique. Le contexte ne laisse place à aucun doute quant à la parole adressée à Marie. À propos de la conception dans le sein de Marie ainsi que la grossesse de sa cousine Élisabeth, l’ange ajoute : « Car rien n’est impossible à Dieu. » (Luc 1.37) La question de l’impossibilité est soulevée précisément parce que l’annonce faite par l’ange enfreint les lois de probabilité. Les auteurs du Nouveau Testament étaient comme nous, aussi critiques que nous pouvons l’être. Ils savaient eux aussi que pour faire une souris ou un bébé, il faut un mâle et une femelle. Il ne faut pas penser qu’ils étaient tous des épais parce qu’ils n’avaient pas de microscope électronique.

Rappelons-nous ceci :

  1. Un chrétien ne croit pas à une naissance virginale sans Dieu!
  2. Un chrétien, tout comme le non-chrétien, trouve ridicule une naissance humaine virginale, sans Dieu.
  3. Mais, les chrétiens croient en Dieu. Plus précisément un Dieu qui s’investit dans sa création.
  4. La création fournit des évidences fortes en l’existence de Dieu.
  5. Par conséquent, il est probable que Dieu ait agi dans sa création.

Ces événements sont rapportés et validés par la méthode historique, par les témoins oculaires, la diversité des sources, la fiabilité des sources, voire même ceux qui rejetaient Jésus. Tout concorde pour dire que Jésus est unique.

Ce n’est pas seulement un enfant qui naît, c’est l’incarnation de Dieu. Jésus est unique.

 

« Verre à moitié plein » la philosophie pour le meilleur et (un peu) pour le pire – Partie 1 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme », d’André Comte-Sponville

[Critique du livre L’esprit de l’athéisme d’André Comte-Sponville, par Guillaume Bignon. Les numéros de page font référence à l’édition Albin Michel (2008), format livre de poche]

André Comte-Sponville est un philosophe français et athée, qui dans son livre L’esprit de l’athéisme, nous explique pourquoi il l’est… Pourquoi il est athée, bien sûr; pas philosophe ou français. Être français ne requiert pas (forcément) de justification, et être philosophe, ça peut arriver à tout le monde, ce n’est pas toujours grave, et ça se soigne (parfois). Mais plus sérieusement, le titre de « philosophe » requiert tout de même une petite discussion d’entrée de jeu, parce qu’il y a deux choses très différentes que l’on appelle communément « philosophie » et qui méritent d’être distinguées : une que je déteste de tout mon cœur, et une autre absolument nécessaire, et pratiquée—consciemment ou pas—par toute personne qui réfléchit un tant soit peu, vous et moi inclus.

Dans le sens noble du terme, un « philosophe » est un érudit rigoureux qui maîtrise les lois de la logique, sait reconnaître les sophismes dans des arguments invalides, clarifie ses termes proprement pour éviter les équivocations, s’exprime de manière admirablement claire dans le but de dissiper toute confusion, et étudie avec toute cette rigueur les grandes questions intéressantes de ce monde : qu’est-ce que la vérité ? peut-on la connaître ? comment marche la science ? d’où viennent les hommes ? y a-t-il un sens à la vie ? sommes-nous déterminés ? avons-nous un libre arbitre ? Dieu existe-t-il ? y a-t-il une « bonne » façon de vivre notre vie ? le bien et le mal existent-ils ? si oui, qu’est-ce qui est mal, et qu’est-ce qui est bien ? etc.

Quand une de ces grandes questions fondamentales se pose, il est essentiel de faire attention à la façon dont on raisonne, pour maximiser nos chances de trouver la bonne réponse. Pour cela, le philosophe (dans ce beau sens du terme, parfois appelé plus spécialement philosophe « analytique »), est précisément le professionnel à qui vous voulez parler : c’est son métier de clarifier les termes de la question, peser les arguments, montrer du doigt les erreurs de logique que certains commettent, et ultimement aider à la prise de décision éduquée. Hourra.

Malheureusement, il y a aussi le « philosophe » dans le sens maléfique du terme. En France particulièrement, on utilise souvent le mot « philosophe » pour simplement parler d’un « intellectuel publique », ou quelqu’un qui écrit des livres sur des sujets un peu complexes, et cela, qu’il soit rigoureux dans son analyse ou pas. Le résultat est qu’on se retrouve à étudier leurs écrits obscurs, discutant de manière bien floue sur des sujets qui visiblement dépassent leur auteur, et pour peu qu’ils utilisent des mots un peu compliqués, se retrouvent quand même admirés par des critiques littéraires et certains professeurs de philosophie. Cette « philosophie », non-analytique, est parfois appelée « continentale », car elle est souvent pratiquée par les Européens, particulièrement des Allemands et des Français dans l’histoire de la philosophie, alors que la philosophie analytique est plus souvent pratiquée par les Anglo-saxons. Cette différence entre la philosophie merveilleuse et la philosophie maléfique, entre la philosophie et le philosophage, est ce qui explique paradoxalement que je n’aie pas eu la moyenne au bac de philosophie (non-analytique) au lycée, mais que je sois maintenant doctorant et conférencier en philosophie (analytique !) à mes heures perdues—de métier, je suis ingénieur et travaille dans l’informatique financière à New York. C’est tout simplement qu’au lycée, mes cours de « philosophie » consistaient à lire et divaguer sur les écrits de certains grands penseurs de l’histoire, sans jamais se poser la question de savoir si ce qu’ils disent est clair, cohérent, ou vrai ! A l’opposé, j’ai découvert plus tard que la philosophie au sens noble, était simplement une boîte à outils que j’utilisais déjà en tant que scientifique dans mes études et ma carrière : le respect des lois de la logique, l’analyse rationnelle et l’évaluation des hypothèses, la réfutation d’arguments invalides, etc.

Revenons-en alors à André Comte-Sponville et la question fondamentale de l’existence de Dieu : à quel genre de philosophe a-t-on affaire ? Quelle philosophie pratique-t-il dans L’esprit de l’athéisme ? Analyse rigoureuse, ou phrases poétiques incompréhensibles ? Ma réponse est « un peu des deux ». Certaines parties sont au mieux incompréhensibles et au pire explicitement incohérentes, mais d’autres parties sont merveilleusement claires dans leur analyse, posent les bonnes questions, et évaluent les arguments les plus importants sur le sujet. Alors au final, je dis « bravo » ! Comptez-moi parmi les partisans du verre à moitié plein. La structure du livre est admirablement claire et simple : il se divise en trois parties, répondant à trois questions : 1-Peut-on se passer de religion ? 2-Dieu existe-t-il ? et 3-Quelle spiritualité pour un athée ?

Dans la première section, il discute principalement du rapport entre la religion, le sens de la vie, et la moralité, ce qui, j’y reviendrai, touche quand même à l’existence de Dieu. Dans la deuxième partie, sur la question « Dieu existe-t-il ? », qui est de loin la question la plus importante dans ce débat, André Comte-Sponville met en œuvre la philosophie analytique comme je l’aime. Il annonce la couleur en clarifiant ses termes d’entrée de jeu, y compris le mot « Dieu », car il affirme (p.78) « une définition nominale est nécessaire, pour les croyants comme pour les athées (il faut bien que les uns et les autres sachent de quoi ils parlent et ce qui les oppose, à quoi ils croient ou ne croient pas ». Amen ! C’est la philosophie analytique au meilleur de sa forme : on se met d’accord sur les définitions, et ensuite on argumente rigoureusement pour déterminer la vérité sur une question importante. Comte-Sponville a ensuite le mérite de citer et de répondre aux arguments les plus importants en faveur de l’existence de Dieu, et de nous offrir ses arguments à lui contre l’existence de Dieu. Je dis « Bravo » encore une fois : il nous donne tout ce qu’il faut pour évaluer sa position sur la question, et donc ma critique de son livre va se faire un plaisir d’évaluer la force de ces arguments. Alors évidemment, en tant que philosophe chrétien, je ne surprends personne si j’annonce que j’ai trouvé ses arguments athées invalides (parfois de manière flagrante), mais ils me permettront de vous expliquer pourquoi en détail, et je montrerai au cas par cas les endroits où ils ont raté un virage. J’expliquerai par ailleurs pourquoi ses critiques des arguments en faveur de l’existence de Dieu échouent et laissent ainsi la porte grande ouverte à ces arguments qui établissent l’existence de Dieu. Nous sommes donc partis pour un bon débat !

Enfin, la dernière section sur sa vision d’une « spiritualité » athée, où il défend que « la spiritualité est une chose trop importante pour qu’on l’abandonne aux fondamentalistes » (p.10), est celle qui part le plus dans le côté obscur de la philosophie : les termes sont vagues, les thèses sont difficilement compréhensibles et encore moins évaluables, et la rhétorique poétique prend l’ascendant sur la clarté et la rigueur intellectuelle. J’en dirai un peu plus sur la fin de ma critique, mais ne nous attardons pas sur ce problème pour l’instant, car je veux dès lors annoncer de manière enthousiaste que j’ai vraiment aimé son livre, et que je conseille vivement sa lecture à tous ceux qui s’intéressent à l’athéisme à la française.

Non seulement André Comte-Sponville a le mérite de discuter des arguments les plus importants, mais en plus il est respectueux des chrétiens ! Il écrit (p. 20) « reconnaissons qu’il y a davantage de saints chez les croyants que chez les athées ; cela ne prouve rien quant à l’existence de Dieu, mais interdit de mépriser la religion ». Quel respect rafraichissant ! Alors oui, il compare quand même sa dé-conversion à un enfant qui devient adulte (p.15-16), mais c’est de bonne guerre, et dans l’ensemble il est bien chaleureux avec ses opposants idéologiques. Il dit avoir horreur « de l’obscurantisme, du fanatisme, de la superstition » (p.10), et le penseur chrétien se doit de dire Amen.

J’espère donc que ma réfutation de ses thèses athées fera preuve du même respect, et j’ai hâte de vous dire en détail pourquoi, croyant en Dieu, je ne suis pas d’accord avec ce philosophe que j’apprécie donc maintenant beaucoup.

Affaire à suivre…

>>> Partie 2

Les femmes « dans » la bible (Partie 1): Une réponse à ceux qui pensent que la bible dénigre les femmes!

Ce que je m’apprête à faire est dangereux, c’est-à-dire, écrire un article sur la valeur des femmes dans la bible. Nous sommes en terrain glissant, car nous entendons tellement de préjugés et de critiques que souvent on considère comme vraie, tel que « que la bible donne peut de valeur à la femme ». Mais j’aimerais donner une réponse à ce préjugé. Au contraire, la bible accorde une grande valeur aux femmes.

Plusieurs mouvement aujourd’hui attaque directement l’identité féminine ou la déforme complètement. Encore dernièrement, j’entendais une entrevue ou on a discuté de la femme dans les religions. Et lors de l’entrevue on a parlé de la création (dans la Genèse) et on nous traitait de fondamentaliste et la bible, disait-on, est le pire livre religieux et le plus détaillé concernant l’identité de la femme. Du point de vue de la bible, d’après ce point de vue, la femme est inférieure depuis le début. Après tout, elle est tirée de l’homme, et cela la rend inférieur!

Je ne veux pas minimiser les actes de tous les groupes à travers le temps qui ont réduit les femmes à un simple objet ou encore sur le dos de la bible ont justifié des actes qui sont carrément aberrants. Et il faut le dire. Mais cela n’est pas le fruit d’une conception biblique.

Quelques réflexions :

  1. Ce genre de commentaire reflète premièrement une ignorance du contexte et un rejet du texte dans son contexte littéraire.
  2. Cela souligne une ignorance du genre littéraire et mène à de mauvaises interprétations, si au minimum, ils ont lu le texte.
  3. En plus d’être tendancieux, c’est le genre d’argument qui est orienté vers un préjugé que l’on qualifie de religieux et comme c’est religieux c’est nécessairement dévalorisant pour les femmes.
  4.  On nous demande d’accepter comme vraie[1] leur conclusion humaniste, sans même nous démontrer soit que nous avons tords ou encore qu’ils ont raison. C’est toujours facile de prendre des extrêmes et de ridiculiser les chrétiens.
  5. Souvent, la ligne de pensée est fortement influencée et dirigée par l’image véhiculée dans la tradition ou la culture, sans référence au texte. Autrement dit, on interprète la bible avec le Journal de Montréal.

1reréfutation : C’est hors contexte

Dans le contexte de Genèse 2 : Dieu a d’abord créé Adam et là placé seul dans le jardin et lui a donné son commandement de ne pas manger le fruit (2.16-17). Puis au verset 18 il dit :

« L’Éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul; je lui ferai une aide qui sera son vis-à-vis. » (2.18)

Cela indique que Dieu a créé Adam comme un être de communication et de partage. Dieu nous a créés pour être des communicateurs et ce dont une personne a besoin dans le contexte de ce chapitre, c’est d’une autre personne avec qui il peut partager l’amour de Dieu. Et comme il ne trouve pas dans la création, Dieu va lui apporter comme un cadeau (2.22). Il faut que l’autre soit autre et non pas un animal (2.19-20). Il y a une très grande différence entre contempler une aurore boréale avec votre conjoint et l’observation du même phénomène avec votre chien.

J’attire votre attention sur 2.23 :

« Et l’homme dit : Cette fois c’est l’os de mes os, La chair de ma chair. C’est elle qu’on appellera femme. Car elle a été prise de l’homme. »

1)      La femme est de même nature que l’homme.

2)      La joie subjective d’Adam en face de celle qui os de ses os. Nous avons tendance à lire ce passage comme si c’était le texte le plus monotone qui soit. Mais il y a un contraste établi avec sa recherche avec les animaux. Si on lit le verset « littéralement »[2] :

« WATATOW… TU M’AS-TU VU LA BEAUTÉ… WOW »

Et de là, la bible tire la conclusion[3] sur le mariage de l’union avec elle. Dieu a créé l’homme et de là il a tiré la femme et lui a amené une femme devant lui pour découvrir c’est quoi être une seule chair dans une communion vivante. Il quittera son père et sa mère, parce que Dieu lui  amené quelqu’un d’autre[4] (2.24).

Bien qu’il existe plusieurs débats sur le genre littéraire (poésie, historique, symbolique, etc.) ça n’importe peu pour voir que le texte est empreint d’amour de l’homme envers sa femme et de Dieu envers sa création. Nous devons donc rejeter les arguments faciles hors contexte pour penser que Dieu n’accorde pas valeur à la femme à partir de ces textes.

 

2e réfutation : C’est illogique

Le raisonnement dans la Genèse est le suivant :

1)      Tout ce qui est créé dans l’image de Dieu à une grande valeur

2)      La femme est créée dans l’image de Dieu

3)      Donc, la femme a une grande valeur

 

Ce qui est créé à l’image de Dieu dans la bible a une grande valeur et le texte est clair sur cela et il donne plusieurs indications à cet effet[5]. Il est donc capable de relation, de communication et de connaissance. Et le texte est clair que ce n’est pas seulement l’homme qui porte l’image de Dieu, mais « homme et femme » (1.27). En plus, cela indique une valeur, une importance et une dignité égale et l’auteur va ajouter à deux reprises que la femme est son « vis-à-vis » (2.18, 20), littéralement « face à face ». L’auteur rend clair que nous sommes égaux dans notre nature, mais différent dans notre expression. Nous sommes donc complémentaires.[6] Homme et femme reflètent de manière différente, pour ainsi dire, l’image de Dieu.

 

Conclusion :

Mes conclusions sont simples et directes :

 

  1. On doit rejeter l’idée que « le livre de la Genèse dit que la femme est inférieure à l’homme. » C’est hors contexte et illogique.
  2. On ne doit pas baser notre jugement sur un préjugé fallacieux et tendancieux.
  3. On doit dénoncer les extrémistes chrétiens ou autres, qui voudraient diminuer la femme en importance, en stature ou en valeur.


[1] En philosophie, on parle d’une  « pétition de principe ».

[2] Blague… C’est pour noter la joie d’Adam.

[3] 2.24 commence par « C’est pourquoi » s’appuyant sur le verset 2.23.

[4] Le verset à la base du mariage.

[5] 1)          Dans la progression du texte, la création de l’homme est le pinacle de la création.

2)            Il est le seul à qui est introduit de façon personnelle de la part de Dieu. « Faisons l’homme à notre image »

3)            Dans les versets 1.26-27, « image de Dieu » revient à 3 reprises.

4)            Utilisation d’un terme différent pour créer l’homme. Il désigne un potier qui façonne l’argile de ses mains.

5)            Il est donné la place de direction sur la création

6)            Il est consacré un chapitre supplémentaire sur leur création avec plus de détails.

[6] C’est ce que l’on appelle le complémentarisme, qui dit que nous sommes égaux dans notre nature et différent en notre expression. Homme et femme sont complémentaire et non en opposition.

« La vérité (ou pas) dans le collimateur » : sophisme génétique, dysfonction cérébrale, et naturalisme auto-réfutant – Partie 5 de ma critique du « traité d’athéologie » de Michel Onfray

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<<< Partie 4

Une autre ligne d’argumentation offerte par Michel Onfray dans les premières pages de son livre « traité d’athéologie » consiste à critiquer la source des croyances théistes, c’est à dire le mécanisme à travers lequel les croyances en Dieu sont formées dans la tête du croyant. Si le monothéiste croit en l’existence de Dieu, affirme Onfray, ce n’est pas parce qu’il a cherché (et trouvé) la vérité ; au contraire, les croyances en Dieu proviennent de différentes sources, qui n’ont rien à voir avec la vérité : un désir d’oasis par des hommes assoiffés, un désir de repos par des hommes fatigués, ou un besoin d’espoir par des hommes craignant la mort. Il décrit sa thèse de la soif et de la fatigue en page 17: « Je songe aux terres d’Israël et de Judée-Samarie, à Jérusalem et Bethléem, à Nazareth et au lac de Tibériade, autant de lieux où le soleil brûle les têtes, assèche les corps, assoiffe les âmes, et génère des désirs d’oasis, des envies de paradis où l’eau coule, fraîche, limpide, abondante, où l’air est doux, parfumé, caressant, où la nourriture et les boissons abondent. Les arrières-mondes me paraissent soudain des contre-mondes inventés par des hommes fatigués, épuisés, desséchés par leurs trajets réitérés dans les dunes ou sur les pistes caillouteuses chauffées à blanc. Le monothéisme sort du sable. »

Le même genre de considérations apparaît en page 27 lorsqu’il dit des croyants : « je désespère qu’ils préfèrent les fictions apaisantes des enfants aux certitudes cruelles des adultes. Plutôt la foi qui apaise que la raison qui soucie—même au prix d’un perpétuel infantilisme mental. »

La thèse se précise : les croyances en Dieu, qui proviennent d’un désir autre que de croire la vérité (en l’occurrence un besoin d’apaisement), témoignent d’une défaillance intellectuelle. Un « infantilisme » mental. Autrement dit, l’intellect humain, qui a pour fonction normale de détecter et croire la vérité, se trouve malfonctionner chez le théiste, et génère des croyances qui visent non pas la vérité, mais le confort. Deux dernières citations d’Onfray suffiront pour illustrer  l’idée. Il annonce en page 28 : « La crédulité des hommes dépasse ce qu’on imagine. Leur désir de ne pas voir l’évidence, leur envie d’un spectacle plus réjouissant, même s’il relève de la plus absolue des fictions, leur volonté d’aveuglement ne connaît pas de limites. »

Le langage d’un « aveuglement » témoigne bien d’une « dysfonction » mentale, générant des idées motivées par la peur plus que par la vérité. « Avoir à mourir ne concerne que les mortels : le croyant, lui, naïf et niais, sait qu’il est immortel, qu’il survivra à l’hécatombe planétaire ». Le motif est donc clair : peur, dysfonction mentale, formation d’une croyance qui apaise plutôt qu’une qui correspond à la réalité.

 

En réponse à cette thèse, je propose trois contrarguments, démontrant premièrement qu’elle est impertinente, deuxièmement qu’elle est démontrablement fausse, et troisièmement, qu’elle offre même les prémisses pour un argument qui réfute le naturalisme athée.

Tout d’abord, donc, la charge d’impertinence. Il n’est pas bien clair quelle conclusion ferme Michel Onfray tire de ses affirmations ci-dessus, mais s’il les emploie comme un argument contre la croyance en Dieu, alors il s’agit d’un raisonnement fallacieux appelé le « sophisme génétique ». Cette erreur de raisonnement consiste à critiquer la source d’une croyance (au lieu de sa vérité) pour la rejeter. Le problème est que même si une croyance trouvait son origine dans une source tout à fait douteuse, il se pourrait très bien qu’elle soit quand même juste ! Si une horloge cassée a ses aiguilles bloquées sur trois heures moins le quart, et si, ignorant son défaut, je la consulte à trois heures moins le quart, ma croyance résultante qu’il est trois heures moins le quart provient alors d’une source entièrement douteuse, mais il en reste qu’elle est quand même vraie. De manière similaire, même si l’on concédait que la croyance monothéiste « sort du sable », causée par la fatigue, la soif et la peur, il ne s’ensuivrait pas un instant que cette croyance est fausse. Au grand maximum, il s’ensuivrait qu’elle n’est pas sue de manière fiable.

oasis-300x200Mais en fait, et c’est ma deuxième affirmation, l’explication de Michel Onfray sur la genèse des croyances monothéistes est tout bonnement fausse. D’abord, elle trébuche sur la géographie. Les terres d’Israël, Jérusalem, Bethléem, Nazareth et la Galilée ne sont pas des endroits qui génèrent des envies d’oasis ; ce sont des oasis. Les textes sur la Méditerranée ancienne décrivent l’endroit comme étant particulièrement fertile. Par ailleurs, il est incroyablement imprudent de grouper tous les théistes dans un même panier, annonçant qu’ils sont tous fatigués, assoiffés ou apeurés. Peut-être certains d’entre eux ont au contraire de bonnes raisons supportant leur monothéisme. Je n’ai moi même pas très soif, merci, et quand le soleil de New York me chauffe la tête, je remercie Dieu pour mon climatiseur. Dans tous les cas, j’ai déjà mentionné (et parfois développé) dans cette critique un nombre certain d’arguments pour l’existence de Dieu, basés sur la vérité de prémisses défendues, et non pas sur ma peur de la mort ou la difficulté de ma vie. Ceux-ci servent de réfutation à la thèse présente, qui n’est donc pas qu’impertinente, mais belle et bien fausse.

Enfin, je conclue cette section une fois de plus en montrant que dans le voisinage de l’argument invalide de Michel Onfray, se trouve en fait un argument valide contre son naturalisme athée, un argument qui a été développé par Alvin Plantinga, et appelé « l’argument évolutionnaire contre le naturalisme ». Selon cette ligne de pensée, il est admis que Michel Onfray a raison de se focaliser sur la « fonction » des facultés cognitives qui entrent en jeu dans notre développement du savoir. Lorsque notre intellect génère des croyances motivées par la peur plutôt que par la vérité, il nous fait défaut ; il ne fonctionne pas proprement. Pour qu’une croyance véritable soit un cas de savoir, il faut qu’elle soit générée par nos facultés cognitives fonctionnant proprement, visant la vérité.

Le problème pour Michel Onfray, est que si son athéisme est vrai, et si la seule chose qui existe est la nature, alors la fonction de nos facultés cognitives n’est pas de détecter la vérité, et elles ne sont alors pas fiables.

plantinga_0Je m’explique. Si Dieu existe, alors l’homme, créé par Dieu, attribue logiquement le fonctionnement de ses facultés cognitives au dessein de son créateur : Dieu créa l’homme a son image, avec un intellect conçu pour viser la vérité et former des croyances vraies, obtenant du savoir sur le monde. Si Dieu n’existe pas, en revanche, quelle est la fonction de nos facultés cognitives ? Qui les a conçues et dans quel but? Réponse : l’évolution, pour nous rendre aptes à la survie. Selon la théorie Darwiniste, le cerveau humain et ses facultés cognitives extrêmement complexes sont le fruit non pas d’un dessein intelligent, mais d’un long processus naturel, de mutations aléatoires, filtrées par la sélection naturelle retenant les mutations utiles à la survie, et éliminant les mutations mal-adaptives. C’est la théorie standard de l’évolution. Le problème apparaît alors : si la fonction de nos facultés cognitives est d’assurer la survie de l’individu, alors il n’y a pas de raison de penser qu’elles soient fiables pour produire du savoir véritable. Lorsqu’elles fonctionnent proprement, nos facultés cognitives visent notre survie, mais ne visent pas particulièrement la vérité. Ce n’est pas qu’elles visent le mensonge non plus ; c’est juste que la vérité leur est indifférente. Une croyance peut être vraie ou fausse, ce qui compte c’est que l’individu qui la croit ait un bénéfice en terme de survie. Dès lors, nous avons une raison de douter de leur capacité à produire des croyances vraies, dans la mesure où ce n’est pas leur fonction.

Une réponse typique de l’athée consiste à rétorquer qu’il va de soi que si nos facultés cognitives sont fiables pour obtenir la vérité, alors elles fournissent par là même un avantage en terme de survie. Le problème, c’est que ce fait n’a aucun impact sur la question qui nous intéresse. Pour faire confiance à nos facultés cognitives, il aurait fallu non pas que « si elles sont fiables alors elles aident à la survie » ; mais au contraire que « si elles aident à la survie, alors elle sont fiables » ; et cette dernière implication n’est absolument pas vraie ; il n’y a aucune raison de penser que si nos facultés cognitives sont adaptées à la survie, alors elles sont fiables pour produire des croyances vraies.

sabliereIl s’ensuit donc qu’un athée naturaliste qui croit à l’évolution, dispose d’une raison de douter de la fiabilité de ses facultés cognitives pour détecter la vérité. Mais évidemment, s’il tient une raison de douter de cela, alors c’est une raison de douter de toutes les croyances produites par ces facultés cognitives, naturalisme athée et évolution inclus. La croyance jointe en l’évolution et le naturalisme athée est donc littéralement auto-réfutante, et ne peut pas être adoptée rationnellement.

On voit donc ici une fois de plus que l’argument offert par Michel Onfray non-seulement échoue dans son attaque du théisme, mais présente même un challenge intellectuel supplémentaire pour sa propre position athée.

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