« Dignité, dépravation, et darwinisme » Le problème de la médiocrité humaine – Partie 12 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 11

La cinquième raison offerte par André Comte-Sponville en faveur de l’athéisme est « la médiocrité de l’homme ». Il écrit (p.127) :

Les humains : plus je les connais, moins je peux croire en Dieu. Disons que je n’ai pas une assez haute idée de l’humanité en général, et de moi-même en particulier pour imaginer qu’un Dieu soit à l’origine et de cette espèce et de cet individu … l’idée que Dieu ait pu consentir à créer une telle médiocrité—l’être humain—me paraît, une nouvelle fois, d’un plausibilité très faible.

Cet argument est ambitieux. Il cherche à convaincre que le théisme est faux, mais pour cela, il affirme au sujet de l’homme, une thèse que la Bible proclame haut et fort ! André Comte-Sponville doit (ou devrait) le savoir : la déchéance de l’homme est non seulement affirmée par le christianisme, mais elle en est même un enseignement central. Un bref passage de l’épitre de Paul aux Romains devrait l’illustrer :

tous … sont sous l’empire du péché, selon qu’il est écrit : Il n’y a point de juste, pas même un seul ; Nul n’est intelligent, Nul ne cherche Dieu ; Tous sont égarés, tous sont pervertis, Il n’en est aucun qui fasse le bien, Pas même un seul ; Leur gosier est un sépulcre ouvert ; Ils se servent de leurs langues pour tromper ; Ils ont sous leurs lèvres un venin d’aspic… (Rom. 3).

Paul ne s’arrête même pas là, mais je pense que la thèse est claire : la Bible n’est pas tendre sur la condition morale des hommes. Croyant ou pas, il n’y a point de juste, pas même un seul. Mais donc dire que le christianisme est faux parce que l’homme est médiocre, c’est comme dire que le marxisme est faux parce qu’il y a une lutte des classes, ou que le darwinisme est faux parce qu’il y a une sélection naturelle—Ce n’est pas réfuter la thèse ; c’est affirmer son enseignement central.

En fait, l’allégation de Comte-Sponville soulève un problème de cohérence interne pour le théisme : elle semble affirmer que la médiocrité de l’homme n’est pas explicable par le théiste affirmant l’existence de Dieu. En réponse à cette accusation, le chrétien peut donc puiser dans toutes les ressources internes de sa théologie (chrétienne) pour expliquer les faits. André Comte-Sponville le réalise bien, mais insiste, en répondant que ces ressources sont insuffisantes :

que nous soyons à ce point capables de haine, de violence et de mesquinerie, cela (que le darwinisme explique sans difficulté) me paraît excéder les ressources de toute théologie. (p.131)

Si la haine, la violence et la mesquinerie lui paraissent « excéder les ressources de toute théologie », je lui prescris de fortes doses d’Augustin, de Luther, ou de Calvin. La « dépravation totale » est un des fameux « cinq points » du calvinisme, mais sans même aller jusqu’à recruter Jean Calvin, il suffit de lire les sources historiques initiales de la religion chrétienne : les apôtres du Christ tiennent régulièrement ce genre de discours, et surtout, c’était l’opinion de Jésus Christ lui même ! Jésus dit que « c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie… » (Marc 7 :21-22) Et c’est précisément pour cela que Jésus est venu au monde : sauver des pécheurs. Il l’explique en ces termes : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler à la repentance des justes, mais des pécheurs » (Luc. 5:31-32).

C’est ce que le chrétien appelle l’évangile ; la bonne nouvelle pour nous autres pécheurs : Jésus, qui lui n’était pas un pécheur, est venu sur terre, a vécu une vie parfaite, et en mourant sur la croix, il a payé à notre place le prix pour nos péchés, de telle sorte que quiconque se repent et place sa foi en Jésus maintenant ressuscité, reçoit le pardon gratuit de ses péchés, et la vie éternelle. Le paradis est un don gratuit, reçu par la foi en Jésus, et non pas par les bonnes œuvres. Cette bonne nouvelle est la base de la religion chrétienne, mais donc elle présuppose bien que l’homme soit déchu. En cela, André Comte-Sponville est donc d’accord avec la Bible au sujet de la condition présente des hommes.

Peut-être la stratégie de Comte-Sponville est-elle plutôt d’admettre que les chrétiens affirment cette vue désastreuse du cœur humain, mais d’insister que c’est une affirmation incohérente, car incompatible avec l’existence de Dieu le créateur parfait ? Si c’est le cas, André Comte-Sponville ne nous offre pas d’argument à cet effet. Mais en réponse, il suffit alors au chrétien d’offrir une thèse cohérente expliquant comment, selon lui, Dieu le créateur parfaitement bon pourrait être à l’origine des hommes que l’on sait être si médiocres aujourd’hui. Cette thèse, pour le chrétien, est offerte dans la Bible : c’est celle de la chute. Selon le chrétien, l’homme n’a pas commencé dans cet état dépravé. Il a été créé bon, et sa « médiocrité » présente est le fruit d’une chute à partir d’un état initial meilleur. Alors évidemment, cette thèse soulève toutes sortes de questions théologiques intéressantes qui sont discutées dans la littérature chrétienne académique (quelle était la nature du libre arbitre avant la chute du premier homme ? est-ce que Dieu était au contrôle de ce choix ? Dieu est-il impliqué même indirectement dans le mal ? etc.) mais comme André Comte-Sponville n’en mentionne aucune, je vais laisser ces discussions intéressantes de côté pour une autre occasion. Pour l’heure, je souhaite juste noter deux aspects complémentaires de la vue chrétienne au sujet de l’humanité, deux composants qui sont à mon sens nécessaires pour une description correcte de notre espèce. Ces deux affirmations chrétiennes sont les suivantes :

1-l’homme est créé bon et à l’image de Dieu, il a donc une dignité toute particulière

et

2-l’homme est déchu, et est donc un pécheur ayant besoin de rédemption.

Nier le point numéro 2 n’est pas l’erreur du christianisme, contrairement à l’allégation maintenant réfutée d’André Comte-Sponville. Cette erreur est en revanche commise par la mouvance « new age », par exemple, qui divinise l’homme, et néglige sa déchéance, faisant de chacun de nous des petits dieux. La médiocrité humaine considérée ici réfute cela, j’y conviens bien, mais le christianisme est intact.

En revanche, l’erreur opposée, qui consiste à nier le point numéro 1, est un souci qu’il nous faut maintenant soulever au sujet de l’athéisme. Si l’homme n’est pas créé à l’image de Dieu, il n’est pas moralement différent des animaux ; c’est juste un primate qui a avancé un brin plus loin dans la chaine de l’évolution darwiniste, sans statut moral privilégié. Il est alors impossible de rescaper la dignité morale et la valeur intrinsèque de l’homme, et André Comte-Sponville lutte précisément dans ce domaine. Il s’épate (p.128) : « Qui aurait pu deviner … que ces espèces de grands singes … inventeraient les droits de l’homme … ? » Si les droits de l’homme ne sont qu’une « invention » humaine, alors ils ne valent pas plus que les droits du moustique ou les droits du poulet. Comte-Sponville remarquait (p.19) qu’ « On n’enterre pas un homme comme une bête », mais son athéisme l’empêche d’expliquer l’existence de cette dignité humaine supérieure par rapport aux bêtes. Il tente alors de l’autre côté de rescaper une certaine dignité pour les animaux : « Nous nous battons, par exemple, pour protéger les baleines ou les éléphants. Nous avons raison » (p.128) et « L’humanisme n’est pas une religion, c’est une morale (laquelle inclut aussi nos devoirs vis-à-vis des autres espèces animales) » (p.129). Mais si Dieu n’existe pas, d’où viennent ces « devoirs » envers les animaux ? Et surtout, nous voulons préserver les baleines ou les éléphants, mais pas les bœufs de nos bourguignons, ou les cochons de nos merguez. Alors à moins qu’il ne soit végétarien, l’athée nous doit encore une bonne raison de penser que tuer un cochon et tuer un homo-sapiens (même un « médiocre ») soient moralement différents. Le chrétien a là une réponse cohérente : l’homme, contrairement aux animaux, est créé à l’image de Dieu. Mais l’athée ne peut pas maintenir cette distinction justifiant le caractère sacré de la vie humaine.

André Comte-Sponville tente alors de redresser un peu la barre, et affirme qu’il ne faut pas « haïr » les hommes malgré leur médiocrité. Je suis bien d’accord avec cet impératif, mais mon souci concerne la justification qu’il offre pour cela : il dit qu’il ne faut pas haïr l’homme parce que ce n’est qu’un animal, et donc ce n’est pas de sa faute ! Il cite La Mettrie à cet effet :

Le matérialisme, disait La Mettrie, est l’antidote de la misanthropie : c’est parce que les hommes sont des animaux qu’il est vain de les haïr, et même de les mépriser. (p.128)

Clairement, nul ne dit ici qu’il faut les haïr ou les mépriser, mais les atrocités morales humaines doivent être moralement condamnées. Comte-Sponville absout les hommes de toute responsabilité morale pour le mal que nous faisons, en disant que ce n’est pas notre faute !

Faut-il pour autant donner raison aux misanthropes ? Surtout pas ! L’homme n’est pas foncièrement méchant. Il est foncièrement médiocre, mais ce n’est pas sa faute. Il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a ou ce qu’il est, et il n’est pas grand-chose, et il ne peut guère (p.128).

La négation de la responsabilité morale des hommes est extrêmement problématique. Et non, en tant que chrétien, je ne crois pas que l’homme (moi inclus, bien entendu) fasse « ce qu’il peut », dans le sens pertinent. Nous ne faisons justement pas de notre mieux. Nous échouons moralement, et nous sommes coupables. La Bible prend au final une vue bien plus sérieuse de la méchanceté humaine. « Médiocre », disait Comte-Sponville ? Le christianisme va plus loin : l’homme est pécheur, il est coupable, et a donc besoin non pas d’un petit coup de pouce, mais d’un pardon de Dieu, disponible par la foi en Jésus comme je l’expliquais ci-dessus. C’est l’évangile chrétien, et j’y reviendrai. En attendant, nous pouvons ici conclure que la raison numéro quatre offerte par André Comte-Sponville en faveur de l’athéisme est un échec : la médiocrité humaine ne fait rien pour réfuter l’existence de Dieu, et elle confirme même un des enseignements principaux du christianisme. Dans la partie suivante, nous discuterons de la sixième et dernière raison offerte par André Comte-Sponville en faveur de l’athéisme : « notre désir de Dieu », qui serait une « raison de douter de son existence ».

Partie 13 >>>

« Le nihiliste en invité surprise » conclusion sur la moralité sans Dieu – Partie 5 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 4

Les deux parties précédentes de cette critique ont traité en détail le sujet de la moralité sans Dieu. Nous avons vu que si Dieu n’existait pas, alors la moralité serait subjective, ce qu’André Compte-Sponville affirmait très clairement, mais nous remarquions également qu’au moins certaines valeurs morales ne sont pas subjectives, et ont bien au contraire une réalité objective (certaines actions sont vraiment bien ou mal, quelles que soient mes préférences personnelles subjectives à leurs égards), et donc il s’ensuivait logiquement que Dieu existe. Enfin, nous relevions également quelques phrases importantes de L’esprit de l’athéisme qui présupposaient la réalité objective de la moralité, ce qui faisait que Comte-Sponville concédait virtuellement les deux prémisses de l’argument moral en faveur l’existence de Dieu. Dans ce contexte, il ne nous reste plus grand chose à ajouter sur la question, mais il reste quelques commentaires d’André Comte-Sponville qui sont suffisamment problématiques pour mériter une brève réponse ici avant de tourner la page sur le sujet de la moralité.

En page 53, André Comte-Sponville critique certains points de la moralité chrétienne (ou du moins qu’il perçoit comme chrétienne) au sujet de la sexualité, et essaie d’affirmer étrangement que ces choses là ne relèvent pas de la morale, mais de la théologie.

Le préservatif n’est pas un problème moral ; c’est un problème théologique. . . Même chose, entre nous soit dit, pour les préférences sexuelles de tel ou tel. Entre partenaires adultes et consentants, la morale n’a guère à s’en mêler. L’homosexualité, par exemple, est peut-être un problème théologique . . . Elle n’est pas – ou plus – un problème moral, ou elle ne l’est, aujourd’hui encore, que pour ceux qui confondent la morale et la religion, spécialement s’ils cherchent dans la lecture littérale de la Bible ou du Coran de quoi les dispenser de juger par eux-mêmes.

Il y a tant à corriger que je ne suis pas sûr de savoir où commencer.

Tout d’abord, son affirmation qu’il s’agisse de « problèmes théologiques » et non de « problèmes moraux » est incohérente. Soit Dieu existe, soit Dieu n’existe pas. Si Dieu existe, alors son dessein en terme de sexualité ancre la moralité, et ces questions sur la sexualité sont bel et bien des problèmes moraux. Mais si Dieu n’existe pas, alors ce ne sont effectivement pas des problèmes moraux, mais alors ce ne sont évidemment pas non plus des problèmes théologiques ! Pas de Dieu, pas de théologie ! Il est donc impossible que ces choses soient des problèmes théologiques mais pas moraux. Si une action est interdite par Dieu, c’est un problème moral ; et si Dieu n’existe pas, il va de soi que ce n’est pas un problème théologique.

Par ailleurs, il n’est pas clair pour moi ce qu’André Comte-Sponville appelle un « problème moral », étant donnée encore une fois son affirmation du subjectivisme moral. Puisqu’il affirme que la moralité est subjective, que ce n’est qu’une affaire de préférences personnelles sans réalité objective, il n’est pas très intéressant de l’entendre dire au sujet de certaines pratiques qu’elles ne sont pas vraiment immorales : sa vue implique que rien n’est jamais vraiment immoral.

Ensuite, quand il dit qu’ « entre partenaires adultes et consentants, la morale n’a guère à s’en mêler », c’est évidemment faux si Dieu existe et spécifie son dessein juste et bon pour la sexualité, mais j’ajoute que la condition soi-disant suffisante d’être « adultes et consentants » impliquerait que la morale n’aie rien à dire sur la promiscuité, les partouzes, l’adultère, l’inceste à l’âge adulte, le masochisme, et la prostitution (les deux partis sont consentants, étant donné un bon prix !) On m’excusera si en chrétien je rejette ce standard en affirmant au contraire que la sexualité est sacrée, un don merveilleux de Dieu pour les époux dans le cadre d’un engagement fidèle et éternel.

Lorsqu’André Comte-Sponville dit que « l’homosexualité n’est pas – ou plus – un problème moral », son « ou plus » souligne encore l’inadéquation de son subjectivisme moral : la moralité fluctue avec le temps, les cultures et les sociétés, et c’est la majorité qui l’emporte à un instant donné mais nul n’a raison, nul n’a tort, il n’y a pas de vérité morale sur la question.
Il accuse ensuite l’éthicien chrétien de « confondre la morale et la religion », mais ce n’est évidemment pas ce que nous faisons : nous ne les confondons pas, nous affirmons juste qu’il existe un lien entre les deux qui encre en Dieu l’objectivité de la morale. Si c’est incohérent, Comte-Sponville nous doit un argument à cet effet.
Enfin, il dit que l’on cherche dans la lecture littérale de la Bible ou du Coran de quoi nous « dispenser de juger » par nous-même. Non. Si la moralité est encrée dans les commandements de Dieu, et que la Bible contient (entre autre) des commandements de Dieu, alors il est bien sûr intéressant de savoir ce que Dieu a communiqué. Mais dans la mesure où les principes moraux révélés dans la Bible ne traitent pas directement et explicitement de toutes les situations auxquelles nous pouvons faire face au quotidien et à notre époque, le travail parfois difficile de juger à partir de principes généraux est toujours bien nécessaire.

André Comte-Sponville discute ensuite du « nihilisme moral », qu’il n’aime visiblement pas, et il cherche à s’en distancer à plusieurs reprises. Il regrette que « Sade et Nietzsche » soient « à la mode » chez nos intellectuels (p.54). Leur « nihilisme », venant du latin nihil, qui veut dire « rien », ou « nul », est dans ce contexte une position qui consiste à nier entièrement l’existence et la validité de la moralité. Le défi pour André Comte-Sponville, c’est de nous expliquer pourquoi son subjectivisme moral athée n’implique pas le nihilisme. Si on affirme avec lui que la moralité n’est pas objective, alors elle n’est pas vraie elle n’est pas réelle, elle n’est pas obligatoire. Quelle différence alors entre un subjectiviste et un nihiliste ?

André Comte-Sponville cherche à les distinguer ainsi (p.55): « J’appelle « nihilisme » tout discours qui prétend renverser ou abolir la morale, non parce qu’elle serait relative, ce que j’accorde bien volontiers . . . mais parce qu’elle serait, comme le prétend Nietzsche, néfaste et mensongère. » Le problème est que cette distinction n’en est pas une. Si la moralité n’est pas objective, elle est mensongère, puisqu’elle ne s’énonce qu’avec des formulations normatives et donc objectives : « il est obligatoire d’aimer son prochain, il est interdit de commettre un meurtre, il est interdit de torturer un enfant pour le plaisir, etc. » Ces injonctions morales sont soit objectives et réelles, soit subjectives et mensongères.

Comte-Sponville continue sa critique du Nihilisme :

« C’est reprendre à peu près la formule d’Ivan Karamazov : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » Cela culmine ou se caricature dans l’un des slogans les plus fameux et les plus sots, de mai 1968 : « Il est interdit d’interdire » C’est où l’on passe de la liberté à la licence, de la révolte à la veulerie, du relativisme au nihilisme. »

Nous sommes bien d’accord que le slogan est sot, mais il n’est pas bien clair quelle différence Comte-Sponville cherche à maintenir ici entre relativisme et nihilisme. Son analyse des conséquences du nihilisme s’applique entièrement aux conséquences du relativisme : « Il n’y a plus ni valeur qui vaille ni devoir qui s’impose ; il n’y a plus que mon plaisir ou ma lâcheté, que les intérêts et les rapports de force. » Mais c’est exactement ce qui s’ensuit logiquement du relativisme : son opinion moral n’est que le sien, il ne s’impose en rien à celui de son voisin qui diffère, car il n’est pas objectivement plus vrai.

Il reprend sa critique du « tout est permis » de Dostoïevski en page 57 : « La seconde proposition [« tout est permis »] est surtout dangereuse d’un point de vue moral. Si tout est permis, il n’y a plus rien à s’imposer à soi-même, ni à reprocher aux autres. » C’est ce qu’implique sa vue ! Si l’autre ne s’impose rien, nous n’avons que notre opinion subjectif à y opposer, mais pourquoi serait-il normatif pour l’autre ? il ne l’est pas !

Il poursuit : « Au nom de quoi combattre l’horreur, la violence, l’injustice ? » Ce à quoi je réponds : L’horreur selon qui ? l’injustice selon qui ?

« C’est se vouer au nihilisme ou à la veulerie (celui-là n’était que la forme chic de celle-ci), et abandonner le terrain, en pratique, aux fanatiques ou aux barbares. Si tout est permis, le terrorisme l’est aussi, et la torture, et la dictature, et les génocides … » Et oui ! Mais si le mal du terrorisme, de la torture, de la dictature, et des génocides n’est pas objectif, il n’y a pas de vérité dans le camp de ceux qui les dénoncent dans cette bataille, et le terrain est déjà abandonné en effet !

Enfin, en p.189-190, il défend son relativisme en disant « C’est le contraire du nihilisme. Il ne s’agit pas d’abolir la morale . . . , mais de constater que la morale n’est qu’humaine, qu’elle est notre morale, non celle de l’univers ou de l’absolu. » Le problème c’est que le subjectiviste ne préserve pas la morale, mais les morales. Le subjectiviste permet qu’une personne et une autre puissent dire une chose et son contraire sans qu’aucun n’ait tort; leur vérité est alors « abolie », pour utiliser son terme. « Notre morale », dit-il ? De quel « nous » s’agit-il ? Les Nazis ou les bonnes sœurs ? La morale de l’État Islamique, ou celle des moines Tibétains ? C’est le relativisme complet, c’est le nihilisme moral.

J’en arrive à ma dernière critique de la moralité selon André Comte-Sponville. Pour faire passer son subjectivisme en douceur et convaincre le lecteur que sa position n’est pas si implausible que ça, il tente un parallèle avec d’autres domaines dans lesquels on rencontre également soi-disant le subjectivisme. Quels domaines ? –Les sciences ! En définissant le nihilisme, il disait : « j’appelle « nihilisme » tout discours qui prétend renverser ou abolir la morale, non parce qu’elle serait relative, ce que j’accorde bien volontiers (les sciences sont relatives aussi ; ce n’est pas une raison pour les refuser) »

Pardon ? Les sciences sont relatives ? Clairement pas. La science peut parfois se tromper, mais elle n’est pas relative. Le savoir scientifique qu’elle fournit est objectif. La rondeur de la terre n’est pas une affaire de préférence personnelle ; notre planète est vraiment, objectivement ronde et non plate. Le théorème de Pythagore n’est pas relatif à celui qui l’énonce. L’existence de la molécule d’ADN est objectivement vraie. Pas besoin de s’attarder sur ce point pour le lecteur attentif: le relativisme est tout aussi absurde en science qu’en éthique.

André Comte-Sponville semble ensuite étendre son relativisme à la question du pluralisme religieux : de toutes les religions qui se contredisent, il ne dit pas vraiment que leurs enseignements sont objectivement faux, mais qu’il « s’en méfie ». Page 72 : « je me méfie de l’exotisme, du tourisme spirituel, du syncrétisme, du confusionnisme new age ou orientalisant. » Qu’il affirme le relativisme en religion est moins surprenant qu’en science, mais il semble aller même au-delà pour affirmer le relativisme absolu en toute chose, lorsqu’il écrit (p.58) « Qu’aucune connaissance ne soit la vérité (absolue, éternelle, infinie), c’est bien clair. Mais elle n’est une connaissance que par la part de vérité (toujours relative, approximative, historique) qu’elle comporte, ou par la part d’erreur qu’elle réfute » En toute honnêteté, je ne suis pas certain de comprendre ce que veut dire cette phrase ; mais si elle n’est pas incompréhensible, elle me semble bien affirmer que toute connaissance est « toujours relative », et c’est donc absurde (en plus de se réfuter soi-même si cette phrase elle-même est supposée être objectivement vraie).

En bref, ni les sciences en particulier, ni la connaissance en général, ne permettent le relativisme, et nous n’avons donc aucune bonne raison de trouver le subjectivisme moral d’André Comte-Sponville moins problématique qu’il ne l’est vraiment. Il existe bel et bien des valeurs morales objectives, et comme je l’ai soutenu ci-dessus, il s’ensuit logiquement que Dieu existe.

Nous en avons dit assez sur la question de la moralité, il est temps de nous tourner vers les arguments d’André Comte-Sponville en faveur de l’athéisme, ce sera dans la partie suivante.

>>> Partie 6

« Si nul n’a tort, nul n’a raison » le subjectivisme moral, peu vivable et peu croyable – Partie 4 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 3

Dans la partie précédente, nous discutions de l’argument moral en faveur de l’existence de Dieu, qui se formule ainsi :

Prémisse 1 – Si Dieu n’existe pas, alors il n’existe pas de valeurs morales objectives

Prémisse 2 – Il existe des valeurs morales objectives

Conclusion : par conséquent, Dieu existe.

Après avoir corrigé quelques déformations de l’argument par André Comte-Sponville, nous remarquions que sa position sur la question était en fait énoncée assez explicitement : il concède la prémisse 1, et pour rejeter la conclusion, il rejette la prémisse 2 : il affirme au contraire, que, puisque Dieu n’existe pas, la moralité est subjective ; il n’y a pas de valeurs morales objectives. En ses mots, « C’est ce que j’appelle le relativisme, ou plutôt c’est son envers positif : seul le réel est absolu ; tout jugement de valeur est relatif » (p.189).

Dès lors, si vous pensez que c’est faux, c’est à dire, si, comme moi, vous pensez qu’au moins certaines valeurs morales sont objectivement vraies, qu’il est par exemple vraiment mal de torturer un enfant pour le plaisir, ou vraiment bien d’aimer son prochain comme soi même, que ce n’est pas juste une affaire de préférence personnelle et subjective, alors le débat sur l’argument moral est clos : ses deux prémisses sont vraies, et la conclusion s’ensuit logiquement : Dieu existe.

Mais que pourrait-on ajouter pour convaincre un André Comte-Sponville qui, lui, semble prêt à nier la réalité objective de la moralité pour préserver l’athéisme face à l’argument moral ? Il y a deux choses à faire. Tout d’abord, je vais passer en revue une longue liste de citations de Comte-Sponville, qui illustrent bien que la moralité subjective est inadéquate, et ensuite, montrer encore une fois par ses propres écrits, que Comte-Sponville lui même affirme toute sortes de jugements moraux objectifs, incompatibles avec la position subjectiviste qu’il affirme. Regardons ainsi ce qu’il a à dire sur toutes sortes de questions morales soulevées dans son livre, et voyons s’il est possible de le pousser à rester cohérent vis-à-vis de son subjectivisme moral.

En page 40, il écrit : « il m’arrive de me définir en athée fidèle : athée, puisque je ne crois en aucun Dieu ni en aucune puissance surnaturelle ; mais fidèle, parce que je me reconnais dans une certaine histoire, une certaine tradition, une certaine communauté, et spécialement dans ces valeurs judéo-chrétiennes (ou gréco-judéo-chrétiennes) qui sont les nôtres. » Ok, ce sont les vôtres. Mais alors l’athée néonazi qui « se retrouve » plutôt dans l’histoire et les valeurs du troisième Reich est aussi un athée fidèle. Il est juste fidèle à d’autres valeurs, toutes aussi subjectives, et la question de savoir à quelles valeurs vous êtes fidèles, est un choix arbitraire, un accident de vos histoires, que nul ne peut départager par un jugement objectif. Si les valeurs judéo-chrétiennes sont meilleures, ou supérieures, ou plus vraies que celles du Reich, alors le subjectivisme moral est faux, la prémisse 2 de l’argument moral est vraie, et il s’ensuit que Dieu existe.

En page 49, en discutant de ses valeurs judéo-chrétiennes, Comte-Sponville concède exactement mon affirmation, lorsqu’il affirme : « Si j’étais né en Chine, en Inde ou en Afrique, mon chemin serait évidemment différent. Mais il passerait pareillement par une forme de fidélité. » Oui, une fidélité à des valeurs contradictoires avec ses valeurs présentes. Et donc selon son subjectivisme, aucune n’est plus vraie qu’une autre !

« Cela ne nous empêche pas de critiquer la morale de nos pères, insiste-t-il en page 34, … d’innover, de changer ». Précisément ! Changer, mais pas améliorer « ; mais nous savons bien que nous ne pourrons le faire valablement qu’en nous appuyant sur ce que nous avons reçu. » Mais reçu de qui ? Certainement pas de nos pères, puisque c’est précisément leur moralité que Comte-Sponville suppose ici qu’on puisse critiquer. Lorsque le relativisme est affirmé, nous n’avons aucune base pour « critiquer » la morale de nos pères ; aucun « appui », comme il dit. Le subjectiviste moral a les pieds fermement plantés dans le vide.

Il poursuit (p.52) : « Voler, violer, tuer ? Ce ne serait pas digne de moi – pas digne de ce que l’humanité est devenue, pas digne de l’éducation que j’ai reçue, pas digne de ce que je suis et veux être. Je me l’interdis donc, et c’est ce qu’on appelle la morale. Pas besoin de croire en Dieu pour cela ; il suffit de croire ses parents et ses maîtres, ses amis (si on a su les choisir) et sa conscience. »

Le fait que cette position soit absurde se voit assez aisément lorsqu’on la confronte à l’existence d’un individu, qui, contrairement à André Comte-Sponville, ne s’interdirait pas ses choses là. Si ma conscience ne m’interdit pas le viol, ce n’est pas mal de violer ? Si mon éducation par mes « parents et mes maîtres » est raciste, il n’y a pas de mal à la suivre ? « Pas digne de l’humanité », dit-il ? D’où vient cette dignité objective ? Si l’homme est créé à l’image de Dieu, certes, il a une valeur morale intrinsèque, un statut moral qui le distingue spécialement des animaux, mais si Dieu n’existe pas, le processus darwinien purement matérialiste et aléatoire qui nous a tous engendrés ne peut pas conférer un statut moral et une dignité à l’humanité, du simple fait que nous soyons plus intelligents que nos cousins les moutons ou les étoiles de mer, les cactus ou les chauves-souris.

Le subjectivisme moral affirmé par André Comte-Sponville est invivable, et assez littéralement in-croyable. Pour preuve, Comte-Sponville lui même dérape à plusieurs endroits, et se voit affirmer des valeurs morales objectives.

Il écrit (p.58) : « S’il n’y avait pas de valeurs, ou si elles ne valaient rien, il n’y aurait ni droits de l’homme ni progrès social et politique » Mais c’est précisément ce qui s’ensuit de sa vue subjectiviste. D’où viennent les droits de l’homme que Comte-Sponville cherche à affirmer malgré son subjectivisme ? Les droits de l’homme sont objectifs ! Si Monsieur Cohen a le droit de vivre selon André et le droit seul de se faire exterminer selon Adolf, alors Monsieur Cohen n’a pas de droit de l’homme. Si les droits de l’homme sont réels, alors Adolf a tort. Vraiment tort. Objectivement. Et le relativisme d’André Comte-Sponville se voit réfuté. Or Comte-Sponville affirme bel et bien les droits de l’homme, en page 140 il nous dit que : « la liberté de conscience fait partie des droits de l’homme et des exigences de l’esprit », ce qui présuppose bien que les droits de l’homme sont réels.

De manière similaire, en page 27, il nous offre toutes sortes de jugements moraux succincts (et il a bien raison !) : « Une élection vaut mieux qu’un sacre ; le progrès vaut mieux qu’un sacrement ou qu’un sacrifice … Agamemnon, pour obtenir des dieux un vent favorable, fit égorger sa fille Iphigénie. Qu’est-ce d’autre, à nos yeux, qu’un crime doublé de superstition ? L’histoire est passée par là, et c’est tant mieux. Les lumières sont passées par là. Un grigri, pour nous, relève de la superstition davantage que de la spiritualité ; un holocauste, de l’horreur davantage que de la religion. »

Ces comparaisons sur ce qui « vaut mieux » qu’autre chose ne sont pas formulées à la manière des préférences purement personnelles et subjectives, comme on dirait que la vanille « est meilleure » que le chocolat. Elles présupposent, il me semble, la vérité objective de ce qu’elles affirment. Comte-Sponville se félicite du passage de l’histoire et des lumières, de telle sorte que « pour nous », un grigri relève de la superstition, et un holocauste relève de l’horreur. Je réponds avec une question : quel « nous » ? Les Nazis sont-ils inclus ? Ils appartiennent clairement au monde post-lumières. Comte-Sponville est donc encore une fois coincé entre son envie (son besoin !) d’affirmer que l’holocauste est vraiment mal, et son affirmation précédente que rien n’est vraiment mal si Dieu n’existe pas.

Un dernier échantillon de ses jugements moraux devrait suffire à illustrer ma critique : il affirme (p.74) : « Paix à tous, croyants et incroyants » d’où vient ce jugement moral ? Est-il objectivement vrai ? « la vie est plus précieuse que la religion (ce qui donne tort aux inquisiteurs et aux bourreaux » Tort ? « la communion, plus précieuse que les Eglises (c’est ce qui donne tort aux sectaires) ; la fidélité, plus précieuse que la foi ou que l’athéisme (c’est ce qui donne tort aux nihilistes aussi bien qu’aux fanatiques) ; enfin – c’est ce qui donne raison aux braves gens, croyants ou non – l’amour est plus précieux que l’espérance ou que le désespoir. »

Je suis bien d’accord sur un bon nombre d’entre eux, mais Comte-Sponville n’a aucun terrain pour les affirmer en ces mots. « Tort », « raison », c’est le langage de la vérité objective. Le subjectivisme d’André Comte-Sponville exclut ces jugements catégoriques (pourtant vrais), et relativise tout, les ramenant à une affaire de préférences personnelles impossibles à dénoncer comme fausses.

Cette dénonciation est pourtant précisément ce que fait Comte-Sponville, et je vous invite à le suivre avec enthousiasme ! Mais il s’ensuit donc qu’au moins certaines valeurs morales sont objectives, et l’argument moral est alors concédé par l’athée : si Dieu n’existe pas, il n’y a pas de valeurs morales objectives, mais il y a des valeurs morales objectives, donc Dieu existe.

>>> Partie 5

« Moralité sans Dieu ni maître » un subjectivisme rafraichissant (bien qu’incroyable) – Partie 3 de ma critique de « L’esprit de l’athéisme » d’André Comte-Sponville

<<< Partie 2

La première partie du livre L’esprit de l’athéisme tente de répondre à la question « Peut-on se passer de la religion ? » Il s’agit en fait d’une discussion (principalement) sur la moralité et le sens de la vie, en supposant que Dieu n’existe pas. André Comte-Sponville annonce sa réflexion : « Je m’interroge, en philosophe, sur la possibilité de bien vivre sans religion » (p.13). Cette discussion est extrêmement pertinente, car dans son voisinage se trouve un argument classique en faveur de l’existence de Dieu, qui procède comme suit.

Traditionnellement, les chrétiens ont ancré la moralité dans la nature et les commandements de Dieu : « Ne commets pas de meurtre, ne mens pas, ne commet pas d’adultère, aime ton prochain comme toi même, etc… » Dieu, en tant que créateur de l’univers et des hommes, siège au dessus des individus et des cultures, et obéir à ses commandements constitue notre obligation morale. Selon cette vue de la moralité, la différence entre le bien et le mal est objective : que je sois d’accord ou pas, il est bon d’aimer son prochain, et il est mal, objectivement, de commettre un viol ou de torturer un enfant pour s’amuser, que je sois d’accord ou pas. Ce n’est pas qu’une affaire de préférences personnelles, c’est une affaire de vérité objective : il est mal de faire cela.

En revanche, si Dieu n’existe pas, il n’y a pas de point de vue privilégié pour départager les différences d’opinion entre les hommes. La moralité sans Dieu doit être subjective : il s’agit de préférences personnelles des individus ou des sociétés, des préférences parfois très passionnées, certes, mais sans qu’un avis soit plus « vrai » qu’un autre. Le choix extrêmement moral entre la protection d’un bébé ou son abus sexuel, devient similaire au choix entre une glace au chocolat et une glace à la vanille : certains préfèrent l’un, d’autres préfèrent l’autre, mais nul n’a vraiment, objectivement, raison. André Comte-Sponville cite Kant à cet effet (p.51-52) :

Avoir une religion, précise la Critique de la Raison pratique, c’est « reconnaître tous les devoirs comme des commandements divins ». Pour ceux qui n’ont pas ou plus la foi, il n’y a plus de commandements, ou plutôt, ils ne sont plus divins ; il reste les devoirs, qui sont les commandements que nous nous imposons à nous mêmes.

Mais de quel « nous » s’agit-il ? De l’individu, de la société. Ces impositions personnelles ne sont donc que subjectives et ne s’imposent pas du tout sur le voisin peut-être psychopathe, dont l’opinion morale diffère significativement, et qui s’ « impose » beaucoup moins que nous. Aucun moyen de nous départager objectivement.

Cette vue étant à mon sens extrêmement difficile à adopter, elle est l’occasion d’un argument déductif en faveur de l’existence de Dieu :

Prémisse 1 – Si Dieu n’existe pas, alors il n’existe pas de valeurs morales objectives

Prémisse 2 – Il existe en fait des valeurs morales objectives

Conclusion : par conséquent, Dieu existe.

Puisque l’athée nie la conclusion de l’argument, il se doit logiquement de nier au moins l’une de ses prémisses pourtant toutes deux très plausibles. Voyons ainsi quelle approche est adoptée par André Comte-Sponville. Il discute (p.31) de la perspective de garder une certaine moralité malgré son rejet de Dieu :

Notre société, en tout cas en Europe, y croit de mois en moins [en Dieu]. Est-ce une raison pour jeter le bébé, comme on dit familièrement, avec l’eau du bain ? Faut-il renoncer, en même temps qu’un Dieu socialement défunt … à toutes ces valeurs –morales et culturelles– qui se sont dites en son nom ?

Non, nul ne doit renoncer à vivre par ces valeurs morales, mais l’athée doit renoncer à leur vérité objective, oui. André Comte-Sponville parle de conserver, en tant qu’Athée, une « fidélité » envers les valeurs morales qui lui sont chères : « La fidélité, c’est ce qui reste de la foi quand on l’a perdue » (p.31). Mais fidélité envers quoi ? Quel standard adopter pour y être fidèle ? Il n’y a plus de valeur objective, le choix devient arbitraire.

Comte-Sponville commet ensuite le sophisme épouvantail, qui consiste à déformer l’argument, pour le réfuter plus facilement, mais c’est donc sans succès, car il ne répond qu’à une caricature de l’argument, que personne ne défend. Il annonce au sujet des valeurs morales : « Que ces valeurs soient nées, historiquement, dans les grandes religions … , nul ne l’ignore. Qu’elles aient été transmises, pendant des siècles, par la religion …, nous ne somme pas près de l’oublier. Mais cela ne prouve pas que ces valeurs aient besoin d’un Dieu pour subsister » On est bien d’accord : cela ne prouve pas qu’elles aient besoin de Dieu. La grande question au sujet des valeurs morales n’est pas de savoir qui les a dites en premier, ou qui les a répétées dans l’histoire, mais plutôt sont-elles objectivement vraies ? Et pour garantir cela, Dieu est nécessaire.

Comte-Sponville répond ensuite à une autre déformation de l’argument, en nous rappelant l’évidence que sous prétexte qu’une personne est athée, elle ne va pas être particulièrement immorale : « Bayle, dès la fin du XVIIe siècle, l’avait fortement souligné ; un athée peut être vertueux, aussi sûrement qu’un croyant peut ne pas l’être » (p.54). Evidemment ! mais ce n’est pas la question. Il confond l’existence de Dieu avec la croyance en l’existence de Dieu. Que les choses soient claires, je le dis haut et fort, un athée peut être merveilleusement bon, et un croyant peut être atrocement immoral ; il n’est absolument pas nécessaire de croire en Dieu pour faire le bien ; ce qui est nécessaire pour maintenir une moralité objective, c’est l’existence de Dieu, pas la croyance en Dieu. Comte-Sponville confond l’épistémologie et l’ontologie (la fondation réelle de la moralité). Il développe cette erreur par une série de questions rhétoriques (p.32): « Sincèrement, est-ce que vous avez besoin de croire en Dieu pour penser que la sincérité vaut mieux que le mensonge, que le courage vaut mieux que la lâcheté, que la générosité vaut mieux que l’égoïsme, que la douceur et la compassion valent mieux que la violence et la cruauté, que la justice vaut mieux que l’injustice, que l’amour vaut mieux que la haine ? » La réponse est claire : « Non, pas du tout », mais l’existence de Dieu est nécessaire pour que toutes ces affirmations soient objectivement vraies ! « Faudrait-il, parce qu’on ne croit plus en Dieu, devenir un lâche, un hypocrite, un salaud ? » (p.33) Mais non, c’est la même incompréhension, poussée à l’absurde : là non plus il n’y a pas de « il faudrait ». Si Dieu n’existe pas, on perd l’obligation humaine objective de faire le bien. On ne gagne évidemment pas une obligation de faire le mal !

Il continue : « Qu’on ait ou pas une religion, la morale n’en continue pas moins, humainement, de valoir » (p.34) Mais la question se pose tout naturellement : « La morale? Quelle morale ? » Tout est relatif si elle ne vaut que « humainement ». En effet, tous les humains ne sont évidemment pas d’accord. Toutes les sociétés non plus. Alors de quelle morale s’agit-il ? celle de Gandhi, ou celle de Mao ; celle de Jésus, ou celle d’Adolf ?

Il répond : « Quelle morale ? Nous n’avons guère le choix. Même humaine et relative, comme je le crois, la morale ne relève ni d’une décision, ni d’une création. Chacun ne la trouve en lui qu’autant qu’il l’a reçue (et peu importe au fond que ce soit de Dieu, de la nature ou de l’éducation) et ne peut en critiquer tel ou tel aspect qu’au nom de tel ou tel autre. » Ne vous laissez pas tromper par la phrase « Nous n’avons guère le choix » ; Comte-Sponville ne veut pas dire par là que la moralité est objective et valable qu’on le veuille ou non ; il veut dire que les valeurs individuelles, purement subjectives, affirmées par chacun, viennent de ce que l’individu trouve en lui, mais cette moralité ne vaut rien de plus que celle de son voisin, qui en lui, trouve une moralité complètement différente.

Il répète enfin (p.51) la caricature de l’argument en disant qu’un croyant qui devient athée ne va pas soudainement devenir radicalement immoral : perdre la foi, dit-il,

Cela ne change rien non plus, ou presque rien, à la morale. Ce n’est pas parce que vous avez perdu la foi que vous allez soudain trahir vos amis, voler ou violer, assassiner ou torturer ! « Si Dieu n’existe pas, dit un personnage de Dostoïevski, tout est permis. » Mais non, puisque je ne me permets pas tout !

On voit ici encore l’incompréhension de l’argument moral : nul ne dit que l’athée est immoral, mais simplement que si Dieu n’existe pas, la moralité n’est pas objective : en vrai, « tout est permis », comme dit effectivement Dostoïevski. La réponse de Comte-Sponville rate le coche : le fait que lui, personnellement, ne se permette pas tout, n’a aucune pertinence sur la question : il en reste que la moralité n’est pas réelle, elle n’est pas objective, et donc qu’objectivement, tout est permis.

Ces déformations et critiques impertinentes de l’argument sont nettes et il me fallait évidemment les corriger, mais au final, rassurez-vous, elles n’obscurcissent pas du tout la position d’André Comte-Sponville vis-à-vis de l’argument moral pour l’existence de Dieu. En effet, Comte-Sponville est en fait parfaitement clair au sujet de quelle prémisse de l’argument il rejette : il rejette la prémisse 2, celle qui disait « Il existe des valeurs morales objectives ». André Comte-Sponville fait preuve d’une clarté sincèrement rafraichissante, en affirmant de manière limpide qu’il pense que la moralité n’est pas objective. Quand on retire Dieu, il cite Wittgenstein (p.186) disant qu’il n’y ni bien ni mal, et conclut qu’ « Il n’y a plus que le réel, qui est sans autre. A quelle norme ou règle pourrait-on le soumettre ? » Exactement. Il poursuit (p.187) : « Spinoza l’a pensé dans sa rigueur : « le bien et le mal n’existent pas dans la Nature », et rien n’existe au-dehors. C’est pourquoi la réalité et la perfection sont une seule et même chose : non parce que tout serait bien, comme le croient les providentialistes, mais parce qu’il n’y a ni bien ni mal. » Notez bien le langage, ce n’est pas moi qui lui prête des mots excessifs : il affirme qu’il n’y a ni bien ni mal.

Il continue :

« Cela n’empêche pas de se construire une éthique (il y a du bon et du mauvais pour nous), ni même de penser une morale (qui est l’absolutisation, à la fois illusoire et nécessaire, de l’éthique). Mais cela interdit d’en faire une métaphysique ou une ontologie, autrement dit de projeter sur la nature ce qui n’existe qu’en nous, de prendre nos jugements pour une connaissance, nos idéaux pour le réel, donc aussi, et surtout, le réel pour une faute ou une déchéance (lorsqu’il ne correspond pas à nos idéaux). »

Comte-Sponville a le mérite d’être clair ! La moralité est illusoire, n’est pas une ontologie, elle n’existe qu’en nous, nos idéaux ne sont pas réels, et donc il n’y a pas de faute ou de déchéance. Il conclut (p.189) : « C’est ce que j’appelle le relativisme, ou plutôt c’est son envers positif : seul le réel est absolu ; tout jugement de valeur est relatif. » et (p.192) « Si toute morale est relative, comment l’absolu pourrait-il en avoir une ? Si l’absolu est amoral, comment la morale pourrait-elle ne pas être relative ? »

Nous voilà bien d’accord : ce relativisme moral est une conséquence directe de l’athéisme. « Nous voilà sans Dieu ni Maître. C’est ce que j’appelle l’indépendance, dont Svâmiji disait qu’elle est le vrai nom de la spiritualité. » (p.194)

Mais évidemment je rejette cette conclusion comme étant assez littéralement « incroyable », il y a réellement, objectivement, du bien et du mal, et nous verrons dans la partie suivante que Comte-Sponville lui même n’arrive pas à respecter son standard (ou manque de standard !) de manière cohérente. Mais donc si la moralité ne peut être objective sans Dieu, et que la moralité est objective (comme nous le défendrons dans la partie suivante), il s’ensuit logiquement que Dieu existe.

>>> Partie 4

Les femmes « dans » la bible (Partie 1): Une réponse à ceux qui pensent que la bible dénigre les femmes!

Ce que je m’apprête à faire est dangereux, c’est-à-dire, écrire un article sur la valeur des femmes dans la bible. Nous sommes en terrain glissant, car nous entendons tellement de préjugés et de critiques que souvent on considère comme vraie, tel que « que la bible donne peut de valeur à la femme ». Mais j’aimerais donner une réponse à ce préjugé. Au contraire, la bible accorde une grande valeur aux femmes.

Plusieurs mouvement aujourd’hui attaque directement l’identité féminine ou la déforme complètement. Encore dernièrement, j’entendais une entrevue ou on a discuté de la femme dans les religions. Et lors de l’entrevue on a parlé de la création (dans la Genèse) et on nous traitait de fondamentaliste et la bible, disait-on, est le pire livre religieux et le plus détaillé concernant l’identité de la femme. Du point de vue de la bible, d’après ce point de vue, la femme est inférieure depuis le début. Après tout, elle est tirée de l’homme, et cela la rend inférieur!

Je ne veux pas minimiser les actes de tous les groupes à travers le temps qui ont réduit les femmes à un simple objet ou encore sur le dos de la bible ont justifié des actes qui sont carrément aberrants. Et il faut le dire. Mais cela n’est pas le fruit d’une conception biblique.

Quelques réflexions :

  1. Ce genre de commentaire reflète premièrement une ignorance du contexte et un rejet du texte dans son contexte littéraire.
  2. Cela souligne une ignorance du genre littéraire et mène à de mauvaises interprétations, si au minimum, ils ont lu le texte.
  3. En plus d’être tendancieux, c’est le genre d’argument qui est orienté vers un préjugé que l’on qualifie de religieux et comme c’est religieux c’est nécessairement dévalorisant pour les femmes.
  4.  On nous demande d’accepter comme vraie[1] leur conclusion humaniste, sans même nous démontrer soit que nous avons tords ou encore qu’ils ont raison. C’est toujours facile de prendre des extrêmes et de ridiculiser les chrétiens.
  5. Souvent, la ligne de pensée est fortement influencée et dirigée par l’image véhiculée dans la tradition ou la culture, sans référence au texte. Autrement dit, on interprète la bible avec le Journal de Montréal.

1reréfutation : C’est hors contexte

Dans le contexte de Genèse 2 : Dieu a d’abord créé Adam et là placé seul dans le jardin et lui a donné son commandement de ne pas manger le fruit (2.16-17). Puis au verset 18 il dit :

« L’Éternel Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul; je lui ferai une aide qui sera son vis-à-vis. » (2.18)

Cela indique que Dieu a créé Adam comme un être de communication et de partage. Dieu nous a créés pour être des communicateurs et ce dont une personne a besoin dans le contexte de ce chapitre, c’est d’une autre personne avec qui il peut partager l’amour de Dieu. Et comme il ne trouve pas dans la création, Dieu va lui apporter comme un cadeau (2.22). Il faut que l’autre soit autre et non pas un animal (2.19-20). Il y a une très grande différence entre contempler une aurore boréale avec votre conjoint et l’observation du même phénomène avec votre chien.

J’attire votre attention sur 2.23 :

« Et l’homme dit : Cette fois c’est l’os de mes os, La chair de ma chair. C’est elle qu’on appellera femme. Car elle a été prise de l’homme. »

1)      La femme est de même nature que l’homme.

2)      La joie subjective d’Adam en face de celle qui os de ses os. Nous avons tendance à lire ce passage comme si c’était le texte le plus monotone qui soit. Mais il y a un contraste établi avec sa recherche avec les animaux. Si on lit le verset « littéralement »[2] :

« WATATOW… TU M’AS-TU VU LA BEAUTÉ… WOW »

Et de là, la bible tire la conclusion[3] sur le mariage de l’union avec elle. Dieu a créé l’homme et de là il a tiré la femme et lui a amené une femme devant lui pour découvrir c’est quoi être une seule chair dans une communion vivante. Il quittera son père et sa mère, parce que Dieu lui  amené quelqu’un d’autre[4] (2.24).

Bien qu’il existe plusieurs débats sur le genre littéraire (poésie, historique, symbolique, etc.) ça n’importe peu pour voir que le texte est empreint d’amour de l’homme envers sa femme et de Dieu envers sa création. Nous devons donc rejeter les arguments faciles hors contexte pour penser que Dieu n’accorde pas valeur à la femme à partir de ces textes.

 

2e réfutation : C’est illogique

Le raisonnement dans la Genèse est le suivant :

1)      Tout ce qui est créé dans l’image de Dieu à une grande valeur

2)      La femme est créée dans l’image de Dieu

3)      Donc, la femme a une grande valeur

 

Ce qui est créé à l’image de Dieu dans la bible a une grande valeur et le texte est clair sur cela et il donne plusieurs indications à cet effet[5]. Il est donc capable de relation, de communication et de connaissance. Et le texte est clair que ce n’est pas seulement l’homme qui porte l’image de Dieu, mais « homme et femme » (1.27). En plus, cela indique une valeur, une importance et une dignité égale et l’auteur va ajouter à deux reprises que la femme est son « vis-à-vis » (2.18, 20), littéralement « face à face ». L’auteur rend clair que nous sommes égaux dans notre nature, mais différent dans notre expression. Nous sommes donc complémentaires.[6] Homme et femme reflètent de manière différente, pour ainsi dire, l’image de Dieu.

 

Conclusion :

Mes conclusions sont simples et directes :

 

  1. On doit rejeter l’idée que « le livre de la Genèse dit que la femme est inférieure à l’homme. » C’est hors contexte et illogique.
  2. On ne doit pas baser notre jugement sur un préjugé fallacieux et tendancieux.
  3. On doit dénoncer les extrémistes chrétiens ou autres, qui voudraient diminuer la femme en importance, en stature ou en valeur.


[1] En philosophie, on parle d’une  « pétition de principe ».

[2] Blague… C’est pour noter la joie d’Adam.

[3] 2.24 commence par « C’est pourquoi » s’appuyant sur le verset 2.23.

[4] Le verset à la base du mariage.

[5] 1)          Dans la progression du texte, la création de l’homme est le pinacle de la création.

2)            Il est le seul à qui est introduit de façon personnelle de la part de Dieu. « Faisons l’homme à notre image »

3)            Dans les versets 1.26-27, « image de Dieu » revient à 3 reprises.

4)            Utilisation d’un terme différent pour créer l’homme. Il désigne un potier qui façonne l’argile de ses mains.

5)            Il est donné la place de direction sur la création

6)            Il est consacré un chapitre supplémentaire sur leur création avec plus de détails.

[6] C’est ce que l’on appelle le complémentarisme, qui dit que nous sommes égaux dans notre nature et différent en notre expression. Homme et femme sont complémentaire et non en opposition.

« Interdiction d’interdire ? » : christianisme et moralité sexuelle – Partie 11 de ma critique du « traité d’athéologie » de Michel Onfray

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<<< Partie 10

Une chose est sûre, Michel Onfray ne partage pas la vue chrétienne de la moralité en général, et certainement pas sa moralité sexuelle en particulier. Le sujet pourrait être laissé de côté dans cette critique qui se focalise plutôt sur les arguments pour et contre le christianisme, dans la mesure où « je n’aime pas ses interdits » n’est pas vraiment un argument contre le christianisme, mais les critiques trouvées dans le « traité d’athéologie » sur le sujet relèvent tellement de l’absurde, qu’elles méritent une réponse, ne serait-ce que pour corriger les distorsions et clarifier la vue chrétienne pour le lecteur intéressé.

Commençons donc par les accusations d’Onfray les plus faciles à réfuter, à savoir celles qui reprochent au christianisme d’enseigner des choses qui lui sont en fait complètement étrangères. Michel Onfray répète à tout va que le christianisme hait la vie, les femmes, le corps, et le sexe. Je ne sais pas où il va chercher tout cela, et les preuves supportant la thèse brillent par leur absence, mais la rhétorique coule à flots ; il écrit : « Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ;  haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d’un seul ; haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin ; haine du corps, des désirs, des pulsions. » (p.103-104 et 4ème  de couverture). Il répète page 109 que le christianisme voit le corps comme impur et mauvais, en page 254 que le christianisme hait les femmes, le sexe et la chair, et en page 142 que le christianisme implique la haine des femmes, « à quoi on ajoute la haine de tout ce qu’elles représentent pour les hommes : le désir, le plaisir, la vie. »

C’est du grand n’importe quoi. D’après le christianisme, le sexe a été créé et ordonné par Dieu, est une bonne chose, et est proprement célébré dans le cadre du mariage et son union d’amour inconditionnel entre les époux. Dans 1 Cor. 7, Paul instruit les corinthiens que les époux ne doivent pas se priver mutuellement de sexe, sauf d’un commun accord, pour un temps défini, pour s’engager dans la prière, par exemple, avant de se retrouver dans l’intimité sexuelle maritale impérative. Dans l’Ancien Testament, le livre du cantique des cantiques est un poème imagé, parfois bien explicite sur la joie  des époux procurée par la beauté et le plaisir trouvé dans le corps de l’autre ; et enfin le livre des proverbes (chapitre 5) dit ceci : « fais ta joie de la femme de ta jeunesse, biche des amours, gazelle pleine de grâce: sois en tout temps enivré de ses charmes (certaines traductions disent « de ses seins »), sans cesse épris de son amour. »

mosesHeston2703_468x611Alors si les encouragements sont aussi explicites, pourquoi Onfray écrit-il si négativement ? Parce que le christianisme ne permet pas la promiscuité sexuelle absolue. Ce n’est probablement pas son opinion réelle (j’aime mieux lui donner le bénéfice du doute), mais dans ses écrits, Michel Onfray semble n’accepter aucune restriction morale dans le domaine ; en page 105, il se plaint de la « kyrielle des interdits », et critique la religion du fait qu’elle affirme des distinctions entre le licite et l’illicite, et fasse des interdits. Mais distinguer le licite et l’illicite, et faire des interdits, c’est la nature même de la moralité ! Notez bien, il ne se plaint pas uniquement que les interdits chrétiens soient différents des siens, il se plaint ici des interdits chrétiens du fait qu’ils soient des interdits. Aucune limite à la moralité sexuelle ne semble être tolérée ; il déplore (p.146) : « la famille, le mariage, la monogamie, la fidélité, autant de variations sur le thème de la castration ». C’est tout bonnement ahurissant: pour éviter l’appellation de castrat, apparemment il faut s’engager dans la promiscuité totale, la polygamie, et l’infidélité. Je passe, merci bien.

Dans son élan de rhétorique, Michel Onfray en vient (probablement pas intentionnellement) à insulter toutes les femmes qui ne se livrent pas à cette promiscuité totale, lorsqu’il dit : « De manière générale, tout mépris des femmes—auxquelles on préfère les vierges, les mères, et les épouses—va avec un culte de mort » (p.254)

familyPlusieurs réponses. Tout d’abord, oui, je préfère ma femme à celle du voisin. Et oui, je suis heureux qu’elle m’ait fait de beaux enfants; comment serait-ce un « culte de mort » que de se réjouir de mes bébés et au contraire, de leurs vies qui se multiplient ? Et puis, quelle serait l’alternative ? Pour Onfray, aimer les femmes serait-ce la promiscuité, le célibat et l’infertilité ou l’avortement ? Enfin, notez bien qu’il dit « auxquelles on préfère… », et non pas « parmi lesquelles on préfère… », une formulation qui implique apparemment que les vierges, les mères et les épouses ne sont pas de vraies femmes. Merci pour elles.

Onfray se plaint ensuite que le christianisme interdise l’activité homosexuelle, mais là encore, la désinformation est affligeante, lorsqu’il annonce : « les trois monothéismes condamnent à mort les homosexuels. Pour quelles raisons ? Parce que leur sexualité interdit—jusqu’à maintenant…—les destins de père, de mère, d’époux et d’épouse, et affirme clairement la primauté et la valeur absolue de l’individu libre » (p.144) D’abord, la peine capitale pour cette offense dans l’Ancien Testament s’inscrivait dans un contexte judiciaire israélite théocratique, et n’est pas directement applicable dans le contexte de la nouvelle alliance et dans une société démocratique moderne. Alors certes, la prohibition morale demeure, mais certainement pas pour les raisons qu’Onfray cite. La pratique homosexuelle, tout comme l’adultère ou la fornication, est rejetée comme immorale simplement parce qu’elle va à l’encontre du dessein de Dieu pour le sexe : il s’agit de sexe extra-marital, allant en plus contre nature, et donc inapproprié. Alors évidemment, ce genre de restrictions morales sexuelles qui étaient complètement évidentes pour nos grands-parents, ont la vie dure depuis la révolution sexuelle des années 60, mais les restrictions morales sont là non pas pour étouffer et frustrer, mais bel et bien pour préserver la pureté du sexe entre époux engagés à s’aimer l’un l’autre inconditionnellement et exclusivement. Rejeter tous les interdits, ce n’est pas la « liberté » de l’individu, c’est l’anarchie.

foetus-8-moisMichel Onfray mentionne ensuite l’avortement, se plaignant que l’église l’interdise, car soi-disant, « la famille fonctionne en horizon indépassable, en cellule de base de la communauté. » (p.144). N’importe quoi. L’opposition à l’avortement n’est pas motivée par l’importance d’avoir des enfants, mais par le devoir de ne pas les tuer une fois qu’ils sont conçus et vivants ! Si le fœtus en développement est un être humain vivant, et qu’il est immoral de tuer un être humain innocent, il s’ensuit logiquement qu’il est immoral de tuer un fœtus après la conception, quelle que soit sa localisation géographique (dans l’utérus ou pas).

Pour compléter sa critique de la sexualité chrétienne, Michel Onfray s’attaque enfin à la source majeure, l’apôtre Paul, et essaie d’en faire un maniaque impuissant masochiste. Je n’exagère pas ! Il nous dit que sa conversion « relève de la pure pathologie hystérique », et Onfray dresse son « diagnostic médical », « manuel de psychiatrie, chapitre des névroses, section des hystériques. » (p.176). Évidemment, le texte ne supporte en rien cette thèse farfelue, mais le lecteur attentif relèvera aisément le double standard ironique de l’analyse historique offerte par Michel Onfray : apparemment on n’a pas suffisamment de sources historiques pour savoir que Jésus existait, mais on en a suffisamment sur Paul pour lui faire un diagnostic de psychanalyse à une distance de 2000 ans !

st-paulOnfray se lance ensuite dans des spéculations irresponsables au sujet de la fameuse « écharde » que Paul dit avoir demandé en vain au Seigneur de lui retirer, et que Dieu lui a laissée, pour le garder humble, et pour lui rappeler que la grâce divine était suffisante (2 Cor. 13). La vérité est que personne ne sait en détail de quoi il s’agissait, le détail était visiblement moins important pour Paul que la leçon théologique qu’il en tirait. Onfray prétend alors savoir qu’il s’agissait d’impuissance sexuelle, puisque Paul « a honte » de donner des détails (p.178). Pure spéculation. Deux pages plus tard (p.180), il présume alors ouvertement que Paul est impuissant et incapable d’avoir une femme, exhibe « une misogynie causée par l’impotence » (p.181), et l’accuse enfin d’être masochiste car il se réjouit de ses blessures. N’importe quoi. Lorsque Paul raconte ses persécutions et partage sa joie, il se réjouit de l’avancée de l’évangile permise par ses souffrances, pas de ses blessures comme un fin en soi.

En conclusion, le sujet de la moralité sexuelle dans le traité d’athéologie est abordé de manière complètement irresponsable, et l’ouvrage d’Onfray exhibe une animosité remarquable, qui bien que compréhensible (il n’est jamais agréable de s’entendre dire que notre pratique sexuelle est immorale), n’est pas rationnelle. Je termine ainsi avec une répétition de l’argument moral pour l’existence de Dieu, défendu dans une partie précédente de cette critique. Nous voyions alors que si Dieu n’existait pas, il n’existerait pas de valeurs morales objectives ; mais qu’il existe bien des valeurs morales objectives, impliquant logiquement que Dieu existe.

L’affirmation chrétienne devient alors éminemment raisonnable : si Dieu existe et son dessein détermine les valeurs morales qui régissent la vie humaine, il va de soi que cela inclut les valeurs morales sexuelles. Ainsi, s’il y a une façon moralement bonne de s’engager dans le sexe, Dieu étant son créateur, il est probablement dans notre intérêt de suivre son opinion…

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