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<<< Partie 10

Une chose est sûre, Michel Onfray ne partage pas la vue chrétienne de la moralité en général, et certainement pas sa moralité sexuelle en particulier. Le sujet pourrait être laissé de côté dans cette critique qui se focalise plutôt sur les arguments pour et contre le christianisme, dans la mesure où « je n’aime pas ses interdits » n’est pas vraiment un argument contre le christianisme, mais les critiques trouvées dans le « traité d’athéologie » sur le sujet relèvent tellement de l’absurde, qu’elles méritent une réponse, ne serait-ce que pour corriger les distorsions et clarifier la vue chrétienne pour le lecteur intéressé.

Commençons donc par les accusations d’Onfray les plus faciles à réfuter, à savoir celles qui reprochent au christianisme d’enseigner des choses qui lui sont en fait complètement étrangères. Michel Onfray répète à tout va que le christianisme hait la vie, les femmes, le corps, et le sexe. Je ne sais pas où il va chercher tout cela, et les preuves supportant la thèse brillent par leur absence, mais la rhétorique coule à flots ; il écrit : « Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ;  haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d’un seul ; haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin ; haine du corps, des désirs, des pulsions. » (p.103-104 et 4ème  de couverture). Il répète page 109 que le christianisme voit le corps comme impur et mauvais, en page 254 que le christianisme hait les femmes, le sexe et la chair, et en page 142 que le christianisme implique la haine des femmes, « à quoi on ajoute la haine de tout ce qu’elles représentent pour les hommes : le désir, le plaisir, la vie. »

C’est du grand n’importe quoi. D’après le christianisme, le sexe a été créé et ordonné par Dieu, est une bonne chose, et est proprement célébré dans le cadre du mariage et son union d’amour inconditionnel entre les époux. Dans 1 Cor. 7, Paul instruit les corinthiens que les époux ne doivent pas se priver mutuellement de sexe, sauf d’un commun accord, pour un temps défini, pour s’engager dans la prière, par exemple, avant de se retrouver dans l’intimité sexuelle maritale impérative. Dans l’Ancien Testament, le livre du cantique des cantiques est un poème imagé, parfois bien explicite sur la joie  des époux procurée par la beauté et le plaisir trouvé dans le corps de l’autre ; et enfin le livre des proverbes (chapitre 5) dit ceci : « fais ta joie de la femme de ta jeunesse, biche des amours, gazelle pleine de grâce: sois en tout temps enivré de ses charmes (certaines traductions disent « de ses seins »), sans cesse épris de son amour. »

mosesHeston2703_468x611Alors si les encouragements sont aussi explicites, pourquoi Onfray écrit-il si négativement ? Parce que le christianisme ne permet pas la promiscuité sexuelle absolue. Ce n’est probablement pas son opinion réelle (j’aime mieux lui donner le bénéfice du doute), mais dans ses écrits, Michel Onfray semble n’accepter aucune restriction morale dans le domaine ; en page 105, il se plaint de la « kyrielle des interdits », et critique la religion du fait qu’elle affirme des distinctions entre le licite et l’illicite, et fasse des interdits. Mais distinguer le licite et l’illicite, et faire des interdits, c’est la nature même de la moralité ! Notez bien, il ne se plaint pas uniquement que les interdits chrétiens soient différents des siens, il se plaint ici des interdits chrétiens du fait qu’ils soient des interdits. Aucune limite à la moralité sexuelle ne semble être tolérée ; il déplore (p.146) : « la famille, le mariage, la monogamie, la fidélité, autant de variations sur le thème de la castration ». C’est tout bonnement ahurissant: pour éviter l’appellation de castrat, apparemment il faut s’engager dans la promiscuité totale, la polygamie, et l’infidélité. Je passe, merci bien.

Dans son élan de rhétorique, Michel Onfray en vient (probablement pas intentionnellement) à insulter toutes les femmes qui ne se livrent pas à cette promiscuité totale, lorsqu’il dit : « De manière générale, tout mépris des femmes—auxquelles on préfère les vierges, les mères, et les épouses—va avec un culte de mort » (p.254)

familyPlusieurs réponses. Tout d’abord, oui, je préfère ma femme à celle du voisin. Et oui, je suis heureux qu’elle m’ait fait de beaux enfants; comment serait-ce un « culte de mort » que de se réjouir de mes bébés et au contraire, de leurs vies qui se multiplient ? Et puis, quelle serait l’alternative ? Pour Onfray, aimer les femmes serait-ce la promiscuité, le célibat et l’infertilité ou l’avortement ? Enfin, notez bien qu’il dit « auxquelles on préfère… », et non pas « parmi lesquelles on préfère… », une formulation qui implique apparemment que les vierges, les mères et les épouses ne sont pas de vraies femmes. Merci pour elles.

Onfray se plaint ensuite que le christianisme interdise l’activité homosexuelle, mais là encore, la désinformation est affligeante, lorsqu’il annonce : « les trois monothéismes condamnent à mort les homosexuels. Pour quelles raisons ? Parce que leur sexualité interdit—jusqu’à maintenant…—les destins de père, de mère, d’époux et d’épouse, et affirme clairement la primauté et la valeur absolue de l’individu libre » (p.144) D’abord, la peine capitale pour cette offense dans l’Ancien Testament s’inscrivait dans un contexte judiciaire israélite théocratique, et n’est pas directement applicable dans le contexte de la nouvelle alliance et dans une société démocratique moderne. Alors certes, la prohibition morale demeure, mais certainement pas pour les raisons qu’Onfray cite. La pratique homosexuelle, tout comme l’adultère ou la fornication, est rejetée comme immorale simplement parce qu’elle va à l’encontre du dessein de Dieu pour le sexe : il s’agit de sexe extra-marital, allant en plus contre nature, et donc inapproprié. Alors évidemment, ce genre de restrictions morales sexuelles qui étaient complètement évidentes pour nos grands-parents, ont la vie dure depuis la révolution sexuelle des années 60, mais les restrictions morales sont là non pas pour étouffer et frustrer, mais bel et bien pour préserver la pureté du sexe entre époux engagés à s’aimer l’un l’autre inconditionnellement et exclusivement. Rejeter tous les interdits, ce n’est pas la « liberté » de l’individu, c’est l’anarchie.

foetus-8-moisMichel Onfray mentionne ensuite l’avortement, se plaignant que l’église l’interdise, car soi-disant, « la famille fonctionne en horizon indépassable, en cellule de base de la communauté. » (p.144). N’importe quoi. L’opposition à l’avortement n’est pas motivée par l’importance d’avoir des enfants, mais par le devoir de ne pas les tuer une fois qu’ils sont conçus et vivants ! Si le fœtus en développement est un être humain vivant, et qu’il est immoral de tuer un être humain innocent, il s’ensuit logiquement qu’il est immoral de tuer un fœtus après la conception, quelle que soit sa localisation géographique (dans l’utérus ou pas).

Pour compléter sa critique de la sexualité chrétienne, Michel Onfray s’attaque enfin à la source majeure, l’apôtre Paul, et essaie d’en faire un maniaque impuissant masochiste. Je n’exagère pas ! Il nous dit que sa conversion « relève de la pure pathologie hystérique », et Onfray dresse son « diagnostic médical », « manuel de psychiatrie, chapitre des névroses, section des hystériques. » (p.176). Évidemment, le texte ne supporte en rien cette thèse farfelue, mais le lecteur attentif relèvera aisément le double standard ironique de l’analyse historique offerte par Michel Onfray : apparemment on n’a pas suffisamment de sources historiques pour savoir que Jésus existait, mais on en a suffisamment sur Paul pour lui faire un diagnostic de psychanalyse à une distance de 2000 ans !

st-paulOnfray se lance ensuite dans des spéculations irresponsables au sujet de la fameuse « écharde » que Paul dit avoir demandé en vain au Seigneur de lui retirer, et que Dieu lui a laissée, pour le garder humble, et pour lui rappeler que la grâce divine était suffisante (2 Cor. 13). La vérité est que personne ne sait en détail de quoi il s’agissait, le détail était visiblement moins important pour Paul que la leçon théologique qu’il en tirait. Onfray prétend alors savoir qu’il s’agissait d’impuissance sexuelle, puisque Paul « a honte » de donner des détails (p.178). Pure spéculation. Deux pages plus tard (p.180), il présume alors ouvertement que Paul est impuissant et incapable d’avoir une femme, exhibe « une misogynie causée par l’impotence » (p.181), et l’accuse enfin d’être masochiste car il se réjouit de ses blessures. N’importe quoi. Lorsque Paul raconte ses persécutions et partage sa joie, il se réjouit de l’avancée de l’évangile permise par ses souffrances, pas de ses blessures comme un fin en soi.

En conclusion, le sujet de la moralité sexuelle dans le traité d’athéologie est abordé de manière complètement irresponsable, et l’ouvrage d’Onfray exhibe une animosité remarquable, qui bien que compréhensible (il n’est jamais agréable de s’entendre dire que notre pratique sexuelle est immorale), n’est pas rationnelle. Je termine ainsi avec une répétition de l’argument moral pour l’existence de Dieu, défendu dans une partie précédente de cette critique. Nous voyions alors que si Dieu n’existait pas, il n’existerait pas de valeurs morales objectives ; mais qu’il existe bien des valeurs morales objectives, impliquant logiquement que Dieu existe.

L’affirmation chrétienne devient alors éminemment raisonnable : si Dieu existe et son dessein détermine les valeurs morales qui régissent la vie humaine, il va de soi que cela inclut les valeurs morales sexuelles. Ainsi, s’il y a une façon moralement bonne de s’engager dans le sexe, Dieu étant son créateur, il est probablement dans notre intérêt de suivre son opinion…

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