L’intérêt principal d’un Apologète chrétien consiste en général à établir que le christianisme est vrai, c’est à dire, qu’il est vrai que Dieu existe, qu’il a créé l’univers, et qu’il s’est révélé spécialement à sa création à travers la Bible (Ancien et Nouveau Testaments), ultimement pour entrer dans sa création en la personne de Jésus de Nazareth, afin de sauver les hommes de leur péché par sa mort et sa résurrection.

Toutes ces propositions sont essentielles à la vérité du christianisme. Mais, qu’elles soient vraies ou pas, ces propositions importantes présentent une autre question pour le penseur chrétien: est il ‘raisonnable’ de les croire vraies? Est-il raisonnable de croire que Dieu existe, qu’il a créé l’univers, etc…?

Il se pourrait très bien que même si ces propositions s’avéraient être vraies, personne ne pourrait réellement le savoir ou être rationnellement justifié dans ces croyances. En conséquence, le sceptique se voit souvent demander des arguments. Il demande que le Chrétien fasse plus qu’énoncer sa croyance en Dieu, et qu’il offre des arguments logiques pour soutenir rationnellement ses croyances. Ce souci fait l’objet d’un argument déductif contre la rationalité de la foi chrétienne, formulé plus ou moins comme cela:

Prémisse 1 – Il n’est rationnel de croire une proposition p que si l’on possède un argument (ou une preuve) en faveur de p

Prémisse 2 – Il n’y a pas d’argument ou de preuve en faveur du christianisme

Conclusion 3 – Par conséquent, il n’est pas rationnel de croire au christianisme.

Cet argument est valide logiquement, c’est à dire que si les deux prémisses sont vraies, sa conclusion s’ensuit logiquement, et le Christianisme est prouvé irrationnel (à défaut d’être prouvé faux, quoi que ces deux problèmes ne soient pas incompatibles).

Le problème de cet argument, cela dit, c’est que non-seulement il n’est pas établi que ses deux prémisses soient vraies, mais ces deux-ci sont même toutes les deux fausses!

La prémisse 2 prétend qu’il n’y a pas d’argument ou de preuve en faveur du christianisme. C’est une croyance malheureusement très populaire à la limite du slogan, répété ad-nauseam par une culture fondamentalement séculière, mais il témoigne d’une ignorance profonde de la discipline de l’apologétique chrétienne. Il se trouve qu’il y a de nombreux et excellents arguments logiques défendus par des philosophes parfaitement compétents (anciens et contemporains) en faveur des croyances fondamentales du christianisme énoncées ci-dessus: l’argument cosmologique, l’argument téléologique, l’argument moral, l’argument ontologique, l’argument transcendant, etc.. Ces différents arguments feront sans doute l’objet d’autre postes sur ce site, et donc leur défense n’est pas le but du présent article. Ils sont listés ici uniquement afin de challenger en principe la prémisse 2 de l’argument ci-dessus, comme étant tout au moins présomptueuse, si ce n’est prouvée fausse.

Notre intérêt pour l’heure, en revanche, se situe autour de la prémisse 1: est il vrai qu’il n’est rationnel de croire une proposition que si l’on possède un argument (ou une preuve) en sa faveur?

Ma réponse est non. Tout d’abord, cette prémisse ne nous est pas démontrée de manière indépendante. Que dirait le sceptique pour établir de manière non-circulaire que la prémisse 1 est vraie? Il n’y a pas grand-chose à dire en sa faveur. C’est déjà un problème, certes. Mais de manière plus fondamentale, cette prémisse n’est pas juste infondée, elle se trouve être démontrablement fausse, et ce pour deux raisons relativement imparables.

Tout d’abord, elle est prouvée fausse par l’existence d’une multitude de contre-exemples relativement unanimes. Il y a un grand nombre de propositions diverses et variées en faveur desquelles nous n’avons pas de bon argument (pour certaines, un tel argument serait même tout bonnement impossible), mais qui pourtant sont parfaitement raisonnables, et tout individu en possession de ses facultés rationnelles peut être justifié en les croyant vraies. Ce genre de croyance a été nommé “proprement basique” par les philosophes qui travaillent dans la discipline de l’épistémologie (la science qui s’intéresse à la connaissance, ou “comment sais-ton ce que l’on sait?”) Ce sont des croyances que l’on accepte naturellement, plus ou moins comme points de départ, ou fondation rationnelle pour d’autres croyances, et qui sont tout à fait raisonnables à adopter même en l’absence d’arguments en leur faveur. Voici au moins 4 exemples de familles de propositions qui ont été suggérées comme bon candidats pour une telle croyance “proprement basique”:

1- Les lois de la logique. Ces lois, incluant la loi de l’identité, la loi de non-contradiction, la loi du milieu exclu, les lois d’inférence logiques (modus ponens, modus tollens, syllogisme disjonctif, syllogisme hypothétique, etc..) sont toutes absolument fondamentales pour toute discussion rationnelle dans quelque discipline que ce soit. Elles sont non-seulement raisonnables elles-mêmes, mais elles sont même la fondation de toute rationalité. Et pourtant, il n’y a pas d’argument qui établisse leur vérité indépendamment. Un tel argument serait tout bonnement impossible, étant donné qu’un argument présuppose la logique: un argument présupposerait donc ce qu’on souhaiterait ici établir. Les lois de la logique sont donc un excellent exemple de proposition non-prouvée (même impossible à prouver) par un argument, et pourtant on ne peut plus raisonnable.

2- Les vérités métaphysiques (ou ontologiques)

Ces vérités, telles que “Le monde extérieur existe vraiment”, ou “il y a d’autres âmes que moi”, ou “le passé est réel, l’univers n’est pas apparu il y a une minute avec une apparence d’âge”, sont toutes proprement basiques. Encore une fois, elles ne sont pas prouvables par arguments. Il est impossible de prouver que le monde extérieur existe, démontrant que je ne suis pas un cerveau dans un bocal stimulé par un savant fou, ou bien juste un corps dans la Matrice, stimulé pour penser que le monde virtuel que j’appréhende est vrai. Ma croyance proprement basique dans le fait que le monde extérieur existe vraiment n’est pas prouvable par argument, mais elle est des plus raisonnables.

3- Les vérités d’éthique, ou de morale

Les propositions exprimant la moralité objective (ou l’immoralité objective) de certaines actions sont également probablement proprement basiques. Les propositions “il est objectivement immoral de torturer un enfant pour le plaisir”, ou “il est objectivement immoral d’exterminer les juifs et les gitans”, ou “il est objectivement immoral d’être raciste” sont des propositions plausiblement vraies, et il est impossible de prouver par un argument indépendant que les immoralités qu’elles communiquent ne sont pas en fait subjectives, juste une question de préférences personnelles, telles que “Une glace au chocolat est meilleure qu’une glace à la vanille”. Les vérités objectives de ces propositions morales sont perçues directement, basiquement dans le contexte de l’expérience morale humaine, et il n’y a pas plus de raison de douter de leur vérité objective, qu’il n’y a de raisons de douter de l’existence du monde physique que l’on perçoit proprement, basiquement par nos 5 sens. Ces vérités d’éthique, pour ceux qui les croient, constituent donc un autre contre-exemple pour la prémisse 1 ci-dessus.

4- Les vérités d’esthétique.

Le beau et le moche, tout comme le bien et le mal, sont des considérations plausiblement basiques. Leur vérité objective est évidemment une matière de controverse, particulièrement disputée entre les théistes et les athées, mais s’il existe des jugement esthétiques objectifs (ou au moins si certains d’entre eux sont objectifs), alors notre connaissance de leur vérité est aussi proprement basique.

Si ne serait-ce qu’une seule de ces 4 catégories de vérités proprement basiques s’avère être telle, alors la prémisse 1 ci-dessus sera réfutée: il sera prouvé faux qu’un argument ou preuve est nécessaire pour croire rationnellement une proposition.

Mais plus fondamentalement, la deuxième raison de rejeter la prémisse 1 de l’argument ci-dessus est encore plus affligeante, et pour cause: la prémisse 1 se réfute elle même!

Elle annonce qu’il n’est pas raisonnable de croire une proposition sans avoir un argument ou preuve en sa faveur. Mais existe-t-il un argument ou preuve en sa faveur à elle? Pas du tout. Elle énonce un standard épistémologique purement arbitraire, sans justification, et un qui comme expliqué ci-dessus, s’avère être particulièrement mauvais. De ces considérations, il s’ensuit que la prémisse 1, par son propre standard, n’est pas raisonnable. A la bonne heure!

Par conséquent, quelque soit le statut de la prémisse 2, la prémisse 1 ayant été prouvée fausse, l’argument ci-dessus tentant d’établir que le christianisme n’est pas raisonnable, se trouve réfuté.

Alors évidemment, il ne s’ensuit pas que le christianisme est par là prouvé vrai ou raisonnable. La question reste à poser: est-ce que le Christianisme est effectivement proprement basique, de la même manière que les propositions offertes ci-dessus? C’est une affirmation forte d’un bon nombre de philosophes chrétiens, qui affirment qu’il est possible de croire (et d’être justifié rationnellement! en croyant) en Dieu, non pas sur la base d’un argument purement logique, mais sur la base d’une expérience immédiate du Dieu vivant, dont l’Esprit Saint témoigne directement à notre esprit, de la vérité du christianisme: que Dieu existe, qu’il s’est révélé en la personne de Jésus, et que par la foi en lui, nous recevons le pardon gratuit de nos péchés: “Etant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ” (Romains 5:1) Cette position est tout à fait compatible avec la conviction qu’il y a bel et bien d’excellents arguments convaincants en faveur du christianisme, mais si ces croyances sont également proprement basiques, alors ces arguments ne sont que la cerise sur le gâteau épistémologique d’une croyance bien raisonnable en un Dieu qui se révèle à ceux qui le cherchent. “Vous me chercherez, et vous me trouverez, si vous me cherchez de tout votre coeur” (Jérémie 29:13).

 

—-

Note: pour aller plus loin dans les sujets abordés par cet article, vous pouvez par example consulter le travail de William Lane Craig pour une défense des arguments traditionnels en faveur du christianisme, ainsi que son exposition des types de propositions proprement basiques énoncées ci-dessus; et pour une défense de la croyance en Dieu de manière proprement basique, consultez Alvin Plantinga, et son travail sur la notion de ‘Warrant’, ainsi que sa réfutation du “fondationnalisme classique”