<<< Partie 9

galaxyDans la partie précédente, nous remarquions que le matérialisme de Michel Onfray n’était aucunement établi par la science (et nous offrions même de bonnes raisons de penser que le matérialisme était faux). Nous poursuivons maintenant avec la liste des thèses plus concrètes que Michel Onfray pense être établies par la science, et incompatibles avec la religion. Il se plaint ainsi des réjections de ces thèses par le croyant : « Des chercheurs croient à l’éternité du monde ? A la pluralité des mondes ? (Thèses par ailleurs épicuriennes…) Impossible : Dieu a créé l’univers à partir de rien. Avant rien, il n’y a … rien. » (p.130)

Commençons par « l’éternité du monde ». La vue chrétienne sur le sujet est effectivement que le monde n’est pas éternel dans le passé ; il a été créé par Dieu, « au commencement », selon l’expression de Genèse 1 et Jean 1. Est-ce donc un problème vis-à-vis de nos connaissances scientifiques ? Pas le moins du monde. Je ne sais pas quels scientifiques Onfray a en tête quand il nous dit que « des chercheurs » croient à l’éternité du monde, mais la science moderne enseigne précisément le contraire. La totalité des preuves scientifiques dont on dispose aujourd’hui pointent vers un début de l’univers. Ce fait est pour le moins problématique pour l’athéisme, car c’est un principe basique et fondamental de métaphysique, que tout ce qui commence à exister doit avoir une cause. Les choses n’apparaissent pas magiquement à partir du rien absolu, sans aucune explication.Presto L’espace et le temps ayant ainsi un début, il s’ensuit que l’espace et le temps ont une cause, qui, en tant que cause de l’univers, est donc en dehors de l’espace et du temps : cette cause doit ainsi être immatérielle, non-spatiale, atemporelle (et donc éternelle), et incroyablement puissante, car capable de créer l’univers entier. Cette cause se recoupe précisément avec la conception chrétienne du Dieu créateur, et donc cette ligne de pensée a été employée à juste titre par les philosophes chrétiens pour supporter scientifiquement l’existence de Dieu. Cet argument en faveur d’un créateur de l’univers s’appelle « l’argument cosmologique de Kalaam », et a généré une quantité incroyable de littérature académique discutant ses mérites. Pour rejeter sa conclusion, Michel Onfray n’a logiquement que deux alternatives : affirmer que l’univers peut apparaître spontanément à partir du néant absolu, sans l’ombre d’une cause ou explication ; ou bien rejeter le fait que l’univers admet un commencement, et maintenir plutôt la thèse qu’il suggère, « l’éternité du monde ». Mais dès lors, c’est lui qui tourne le dos à toutes les preuves scientifiques modernes, tout en accusant le chrétien de ce même obscurantisme. Les options de l’athée sur la question sont clairement peu attrayantes, et c’est le chrétien qui est en accord avec la science moderne quand il affirme qu’« au commencement, Dieu créa les cieux et la terre » (Genèse 1 :1).

Qu’en est-il ensuite de la « pluralité des mondes » ? Il fait ici probablement référence à la thèse du « multivers », qui postule que notre univers, avec ses lois de la nature et ses constantes, n’est qu’un univers parmi une large collection d’univers ayant tous des lois et des constantes physiques différentes. Michel Onfray ne nous dit pas quel problème cela poserait au chrétien si cette thèse s’avérait correcte. À vrai dire, il n’y a aucun conflit avec la doctrine de la création, et au contraire, elle révèle une autre raison importante de penser que notre univers est le fruit d’un dessein intelligent. Pourquoi certains théoriciens en sont-ils venus à postuler l’existence incroyable d’une infinité d’univers parallèles ? La réponse est que la science moderne a découvert qu’un certain nombre des constantes intervenant dans les équations des lois fondamentales de la physique (la constante de gravitation, le quotient des masses de l’électron et du proton, etc.), ainsi qu’un certain nombre de quantités initiales de notre univers (la vitesse d’expansion, le niveau initial d’entropie, etc.) semblent avoir été ajustées avec une précision incommensurable, pour permettre la vie dans l’univers. Si ces constantes ou quantités avaient été ne serait-ce qu’une fraction plus petites ou plus grandes, la vie aurait été impossible où que ce soit dans l’univers. Ce fait remarquable requiert une explication. Est-ce le hasard pur que l’univers permette la vie ? Aucune chance ! Les nombres sont tels qu’un univers ne permettant pas la vie aurait été littéralement des milliards de milliards de fois plus probable. Est-ce du à la nécessité physique ? Probablement pas non plus, car des variations de ces quantités et constantes auraient été compatibles avec nos mêmes lois de la nature ; il n’y a aucune raison de penser que ce fin réglage soit physiquement nécessaire. Mais donc il ne reste qu’une explication alternative plausible : l’univers exhibe un réglage fin pour permettre la vie, parce que…l’univers a été réglé finement dans le but de permettre la vie ! Mais donc cela implique encore une fois que l’univers a un créateur et designer, qui a finement réglé l’univers avec pour but de permettre l’existence de la vie.

lotoLa « pluralité des mondes » est donc une tentative pour peu désespérée de rescaper l’hypothèse de la chance : s’il y a une infinité d’univers parallèles avec des valeurs différentes, il devient moins improbable que l’un d’entre eux tombe par hasard sur les bons numéros et permette la vie. Cependant, deux problèmes rendent cette stratégie peu séduisante. D’abord, si notre univers n’était qu’un membre aléatoire de cette collection presque infinie, il est hautement improbable qu’il fût aussi grand. Parmi les univers qui permettent la vie, la probabilité d’avoir un univers largement plus petit que le notre est extrêmement haute, ce qui fait que la grande taille de notre univers sape l’hypothèse du hasard. Et deuxièmement, il n’y a tout simplement aucune preuve pour le multivers. Aucune. La seule raison de le postuler est d’éviter la conclusion que notre univers admet un designer. Mais donc c’est présupposer que Dieu n’existe pas, et ce n’est pas suivre les preuves scientifiques où elles nous mènent. Jusqu’ici, c’est donc bien le théiste qui a le privilège d’accepter la science moderne.

darwinEnsuite, Michel Onfray mentionne évidemment « l’évolution et la transformation des espèces », et la thèse que l’homme descend du singe (p.131). Ce sujet est trop chargé pour que je le traite en détail ici, mais disons quelques mots à son sujet. D’abord, le terme « évolution », laissé tout seul, est extrêmement mal défini, et il faudrait commencer par préciser de quoi il s’agit avant de savoir si la thèse est établie et/ou incompatible avec la religion. En vérité, le terme regroupe en général plusieurs thèses : la théorie de la descendance commune, un tracé des relations historiques entre les espèces évoluant d’une en l’autre, et enfin un mécanisme, le Darwinisme, expliquant la diversité biologique par une succession de mutations génétiques aléatoires, filtrées ensuite par la sélection naturelle. Une fois que chacune de ces thèses est proprement identifiée, le chrétien a deux options : admettre qu’une thèse est établie mais compatible avec la bible, ou admettre que la bible enseigne une vision contradictoire, mais rejeter la thèse comme non prouvée. Tous les chrétiens ne sont pas d’accord sur quelles thèses requièrent laquelle de ces deux réponses, mais je n’ai pas besoin de rentrer plus dans le détail ici, dans la mesure ou Onfray ne précise pas vraiment l’accusation. Je me contenterai donc pour l’heure de maintenir en réponse que « l’évolution », quelque soit la thèse qui est en vue, n’est pas une bonne raison de rejeter le christianisme biblique, et encore moins le théisme.

Michel Onfray mentionne alors l’âge de la terre, annonçant là encore un conflit entre la science moderne et l’enseignement biblique. Il dit que le datage de strates donne un âge du monde vieux, alors que « Les chrétiens affirment que le monde a quatre mille ans, ni plus ni moins »  (p.131-132). Pardon ? D’abord, il n’y a pas qu’une vue sur le sujet chez « les chrétiens ». Il y a d’un côté ceux qui affirment que l’univers est vieux de 13,7 milliards d’années, tel que le modèle scientifique majoritaire le soutient. Mais même pour ceux qui affirment la vue opposée, les « créationnistes terre-jeune », qui soutiennent que la bible requiert une création plus récente et qui rejettent que la science ait solidement établi le contraire, ils affirment que l’univers a été créé il y a plus de quatre mille ans ! Je n’ai jamais entendu ce nombre proposé par qui que ce soit. Les créationnistes terre-jeune, selon les interprétations, affirment entre six et dix mille ans au moins. Une fois de plus, la critique d’Onfray manque donc sa cible.

Enfin, il explique que la haine supposée de la science provient de l’apôtre Paul lui même (p.133) : « la condamnation des vérités scientifiques – la théorie atomiste, l’option matérialiste, l’astronomie héliocentrique, la datation géologique, le transformisme, puis l’évolutionnisme, la thérapie psychoanalytique, le génie génétique – voilà les succès de Paul de Tarse qui appelait à tuer la science. Projet réussi au-delà de toute espérance ! »

telescopePaul appelait à tuer la science ? Je me ferais un plaisir de corriger son exégèse si je savais où Michel Onfray va chercher tout cela, mais j’ignore sincèrement quel verset pourrait même être tordu pour étayer l’accusation (et j’ai une maîtrise en littérature biblique avec emphase sur le Nouveau Testament !) Bien au contraire, Paul affirme la valeur du monde physique, expliquant même dans Romains 1 que Dieu le créateur est révélé par sa création : « les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’oeil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. » C’est une des nombreuses raisons pour lesquelles le chrétien peut être enthousiaste au sujet de la science : lorsqu’elle est faite proprement et sans présupposer l’athéisme de manière circulaire, ultimement, elle révèle et glorifie Dieu.

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