Sproul_Bahnsen

Comme devraient démontrer les quelques autres articles écrits dans cette série, il existe, parmi les apologètes chrétiens, des partisans de différentes ‘méthodes’ apologétiques. Ces dernières ne sont pas toujours faciles à classer ou à différentier, cependant elles se distinguent toutes d’une manière ou d’une autre.  Je propose dans cet article de survoler les trois familles principales de ces soi-disant ‘méthodes’ apologétiques, de brièvement établir leurs enseignements, et d’évaluer la nature de leurs conflits. La thèse principale que je souhaite établir consiste des propositions suivantes : 1. Ces méthodologies proposent toutes des arguments valides et robustes en faveur du Christianisme, et 2. Les arguments proposés pour infirmer l’une ou autre de ces méthodologies sont invalides.

Le premier point ne peut guère être développé en détail, puisqu’il nécessiterait la défense on ne peut plus longue de tous les arguments essentiels en faveur du Christianisme.

Rien que cela! Ces derniers pourraient remplir, et clairement ont rempli des centaines de livres. Je me contenterai donc de référer le lecteur soit à d’autres articles de cette série en français sur l’apologétique, soit à la littérature volumineuse (bien que souvent anglo-saxonne) portant sur chacun des arguments que je mentionnerai. Leur défense n’est pas un domaine dans lequel je puis ajouter de nombreuses pensées originales ; en revanche, cette deuxième thèse, l’affirmation que leurs différences et conflits sont injustifiés, est à la fois originale et importante ; d’où la motivation derrière cet article.

Les trois méthodes d’apologétique principales faisant l’objet de notre étude sont : 1-l’apologétique évidentialiste, 2-l’apologétique classique, et 3-l’apologétique présuppositionnelle (d’autres variantes existent, mais leurs différences résident dans le nuancement de la théorique plutôt que dans sa substance).

Commençons donc le survol de leurs affirmations, en commençant par l’apologétique évidentialiste. Le terme ‘évidentialiste’ provient du mot anglais ‘evidential’, qui prend un sens plus large, englobant l’idée de ‘preuve’ ou ‘attestation’. Un apologète ‘évidentiel’, donc, est un apologète dont les arguments consistent à établir les preuves, plus particulièrement les preuves historiques, d’une des vérités les plus centrales de la foi chrétienne : la mort et résurrection de Jésus de Nazareth. Sur la scène contemporaine, Gary Habermas, Michael Licona, ou Josh McDowell pourraient être identifiés comme tels. Un apologète ‘évidentialiste’ avance des données historiques supportant fortement l’hypothèse de la mort et résurrection de Jésus. Essentiellement, ils argumentent comme suit ; ils partent d’un ensemble de faits ‘minimalistes’ qui peuvent être établis avec un haut niveau de certitude historique au sujet de la personne de Jésus de Nazareth, creusant dans les meilleures sources historiques le concernant et défendant leur fiabilité selon les critères standards d’analyse historique, qui sont également applicables à n’importe quelle autre figure historique. Les critères d’analyse historique sont ceux-ci (liste non exhaustive): attestation ancienne (c’est à dire attestation remontant à une durée courte après les événements relatés), attestation multiple (plusieurs sources indépendantes offrent une même information), critère d’embarras (si la source historique affirme une vérité embarrassante pour son auteur, il est plus probable que ce soit la vérité), etc. Dans ce contexte, les documents du Nouveau Testament, tout particulièrement les quatre évangiles sont souvent au centre de la discussion, mais ils ne sont pas traités par l’apologète évidentialiste comme étant divins, inspirés, ou infaillibles a priori. Ils sont pris de manière minimale pour ce qu’ils sont : des documents historiques anciens, offrant un acompte de la vie de Jésus de Nazareth. Leur fiabilité est donc passée à la loupe des critères ci-dessus comme tout autre document historique, et l’apologète évidentialiste construit un plaidoyer en faveur des faits historiques entourant la mort et résurrection de Jésus : la crucifixion de Jésus sous autorité romaine, son enterrement dans une tombe par Joseph d’Arimathée (un membre du Sanhédrin juif), la découverte de son tombeau vide le dimanche matin suivant par un groupe de femmes adeptes, le fait que ses disciples aient eu des expériences d’apparitions post-mortem de Jésus (que ces expériences soient véridiques ou expliquées par des hallucinations ou autres), et l’origine de la foi des disciples en la résurrection corporelle de Jésus (une croyance intrigante par le fait qu’elle ne soit pas du tout juive, et qu’elle ait mené ces disciples à être persécutés pour sa prédication envers et contre toute opposition). Tous ces faits historiques sont fiables et passent avec succès le test des critères d’historicité. Une fois que ces faits historiques sont établis, l’apologète évidentialiste demande : « quelle est donc la meilleure explication de ces faits historiques ? » Quelle hypothèse explique le mieux tous ces faits historiques ? Un ensemble d’explications possibles est considéré : « Jésus n’était pas vraiment mort quand on l’a descendu de la croix », ou « les disciples ont volé sa dépouille une fois dans la tombe », ou « les disciples ont halluciné leurs visions post-mortem de Jésus », etc. Chacune de ces hypothèses est alors évaluée à la lumière des critères standards d’évaluation d’hypothèses historiques. Ces critères incluent les suivants : largesse du domaine d’explication (il est préférable d’avoir une hypothèse qui explique un maximum des faits à expliquer), puissance explicative (l’historien favorise une hypothèse qui, si elle est vraie, rend les faits à expliquer très probables : elle explique bien les faits), plausibilité, ne pas être ad hoc, etc.

Il est ensuite conclu que la meilleure explication des faits historique est celle que les disciples de Jésus ont donnée depuis le début : « Dieu a relevé Jésus des morts ». Ceci conclut ce qu’est l’apologétique évidentialiste.

L’apologète dit ‘classique’, quant à lui reprend cette argumentation ‘evidentialiste’, et l’affirme entièrement ! Mais il offre également des arguments plus génériques, cherchant à établir l’existence de Dieu comme créateur de l’univers et fondation de valeurs morales objectives. Sur la scène contemporaine, des apologètes classiques seraient William Lane Craig ou R.C. Sproul. Leurs arguments principaux pour l’existence de Dieu sont les suivants :

1- L’argument cosmologique leibnizien

Cet argument consiste à dire que l’univers, étant contingent, requiert une explication de son existence, et que par la nature de la situation, cette explication ne peut être que Dieu :

Prémisse 1 – Toute chose qui existe a une explication de son existence, trouvée soit dans la nécessité de son être, ou dans une cause externe

Prémisse 2 – Si l’univers a une explication de son existence, alors cette explication est Dieu

Prémisse 3 – L’univers existe

Conclusion : L’explication de l’univers est Dieu, qui donc existe.

Je laisse la défense de chaque prémisse aux apologètes classiques dans la littérature.

 

2-L’argument cosmologique de Kalaam

Cet argument, similaire, propose que l’univers doit avoir une cause externe, en vertu du fait qu’il a eu un commencement ; qu’il n’est pas éternel dans le passé.

Prémisse 1 – Toute chose dont l’existence admet un commencement requiert une cause

Prémisse 2 – L’univers admet un commencement

Conclusion : L’univers a une cause

Et par une analyse conceptuelle de ce qu’être la cause de l’univers signifie, l’apologète conclut qu’il existe une cause hors de l’espace, hors du temps, immuable, immatériel, incroyablement puissante et personnelle ; qui a causé l’existence de l’univers. Cet argument établit l’existence d’un créateur personnel de l’univers.

 

3-L’argument téléologique

Cet argument presse l’existence d’un dessein intelligent à la base de l’accord fin des conditions initiales de l’univers, pour l’existence de la vie intelligente. Laissant entièrement de côté la question de l’évolution ou celle de savoir si le Darwinisme est suffisant pour expliquer la diversité biologique et l’apparence de dessein, cet argument se concentre sur les conditions initiales de l’univers, remarquant que certains constantes (la gravité, les forces nucléaires, la constante cosmologique), ainsi que certaines quantités (le niveau initial d’entropie, le rapport entre matière et antimatière) sont incroyablement ajustées pour tomber dans la fourchette astronomiquement maigre de valeurs qui permettraient l’existence de la vie, n’importe ou dans l’univers. Ce fait remarquable requiert fortement une explication, et produit l’argument suivant :

Prémisse 1 – L’accord fin des conditions initiales de l’univers est dû soit à une nécessité physique, soit à la chance, soit à un dessein intelligent.

Prémisse 2 – L’accord fin des conditions initiales de l’univers n’est dû ni à une nécessité physique, ni à la chance

Conclusion : L’accord fin des conditions initiales de l’univers est dû à un dessein intelligent, un designer de l’univers.

 

4-L’argument moral

Cet argument propose que l’existence de valeurs morales objectives pointe vers l’existence d’un Dieu.

Prémisse 1 – Si Dieu n’existe pas, alors il n’existe pas de valeurs morales objectives

Prémisse 2 – Mais en fait, il existe au moins certaines valeurs morales objectives (véridiques indépendamment des individus ou cultures)

Conclusion : Dieu existe

 

Encore une fois, je laisse la défense des différentes prémisses aux apologètes classiques, dont la littérature abonde. Il existe également d’autres arguments classiques intéressants, tels que l’argument ontologique (défendu par Alvin Plantinga), mais les arguments principaux sont listés ci-dessus. De ces arguments pour le théisme, l’apologète classique utilise ensuite les arguments historiques pour la fiabilité des documents bibliques et la résurrection de Jésus de Nazareth, afin d’affirmer non pas simplement du théisme, mais bel et bien le Christianisme.

Enfin, l’apologète dit ‘présuppositionnaliste’ prend une approche qu’il veut très différente. Sur la scène (relativement) contemporaine, des apologètes préssuppositionels sont Cornelius VanTil, Greg Bahnsen, K.Scott Oliphint, Douglas Wilson, ou James R. White. L’apologète présuppositionnel affirme que les arguments classiques sont basés sur une présupposition erronée, que le non-croyant et le croyant partagent une plateforme neutre à partir de laquelle ils peuvent raisonner sans examiner leurs présuppositions. L’apologète ‘présuppositionnel’ est en général réformé théologiquement, affirme une vue forte du péché originel et de la ‘dépravation totale’ de l’homme avant sa conversion et propose que le débat n’ait pas lieu en territoire neutre, mais que chacun mette ses ‘présuppositions’ sur la table. L’apologète ‘présuppositionnel’ ‘présuppose’ que la Bible est vraie et qu’elle est la parole de Dieu et il affirme que, sans cette présupposition, il devient incohérent pour le non-croyant d’affirmer l’existence même de toute signification, ou communication, si bien que si le non-croyant, ne serait-ce qu’en engageant le croyant en débat, il prouve que Dieu existe. En effet, s’il est nécessaire de croire au Dieu du chrétien pour affirmer de façon cohérente que des phrases ont un sens ou que les lois de la logique ont autorité (des valeurs morales sont aussi parfois listées ici), le simple fait de les employer pour réfuter l’existence de Dieu démontre que le non-croyant épouse malgré lui l’existence de ce Dieu : il ‘emprunte’ des munitions de la vision du monde chrétien, afin de la démolir. Ces contestations sont souvent appelées ‘l’argument transcendantal’ pour l’existence de Dieu, et se trouvent au centre de l’arsenal de l’apologète ‘présuppositionnel’.

Voilà donc pour un survol de ces trois méthodes apologétiques. Pour notre évaluation, ne compliquons pas la question inutilement en discutant l’apologétique évidentialiste ; puisque toutes ses prétentions sont contenues dans l’apologétique classique, réduisons notre discussion à l’apologétique classique et l’apologétique présuppositionelle. Quelles sont donc leurs forces et quelles sont les critiques offertes par les apologètes de l’une ou l’autre de ces deux écoles ?

Tout d’abord, leurs forces : c’est bien simple, je suis d’avis que la totalité des arguments ci-dessus sont valides et peuvent être utilisés pour prouver que le christianisme est rationnel et vrai.  Aucun de ces arguments ne contredit les autres, et pour cette raison, ils se retrouvent tous dans mon arsenal d’apologétique. Alors, si ces arguments sont cohérents et peuvent, comme je le prétends cohabiter en paix dans une même armée, pourquoi y a-t-il une division et même une controverse intense entre apologètes classiques et présuppositionnels ? Voici les arguments que ces premiers offrent à ces derniers.

Tout d’abord, l’argument offert par les apologètes classiques contre l’apologétique présuppositionnelle. L’objection est bien simple : les apologètes classiques reprochent aux apologètes présuppositionnels de raisonner de manière circulaire. Un argument circulaire est invalide, comme tout le monde le sait, et donc si l’on présuppose les vérités bibliques afin d’établir les vérités bibliques (telle que l’existence de Dieu), le non-croyant est logiquement en position de réfuter l’argument comme étant circulaire, commettant le sophisme ‘petitio principii’.

Le problème avec cet argument, c’est qu’il démontre une incompréhension de l’apologétique présuppositionnelle. En aucun cas l’argument transcendant ne commet la faute de raisonner circulairement. L’incompréhension vient du fait que le mot ‘présupposition’ est utilisé de manière équivoque. L’apologète présuppositionnel utilise le terme ‘présupposition’ comme synonyme de ‘croyance’ ou ‘engagement’, non pas de ‘prémisse’ telle une prémisse d’argument non examinée. Au contraire, les apologètes présuppositionnels insistent fortement sur le besoin « d’examiner ses présuppositions », affirmant bien souvent que le non-croyant lui-même faillit à la tâche d’examiner ses présuppositions de l’athéisme et raisonne donc de façon circulaire dans son rejet du Christianisme.

L’accusation de sophisme et raisonnement circulaire est donc invalide et il n’y a aucune raison de rejeter l’argument transcendantal, qui, je crois, démontre de façon valide que les lois de la logique, l’existence de signification et de valeurs morales objectives requièrent l’existence de Dieu. Ainsi, cela devrait pousser le non-croyant à rejeter sa vue du monde et à considérer le christianisme, dans lequel Dieu est rationnel, source de la logique, du sens et des valeurs morales.   Cela devrait également inviter le non-croyant à considérer le fait que ce même Dieu s’est révélé dans la Bible et en la personne de Jésus Christ.

Toutefois, les apologètes présuppositionnels aussi proposent plusieurs arguments s’opposant à l’apologétique classique. Cependant, comme il va être démontré, ces arguments sont invalides.

Tout d’abord, certains proposent l’objection que les arguments classiques n’établissent qu’un théisme générique, mais pas le théisme chrétien. Et comme le salut éternel n’est reçu que par une foi en Jésus et non pas en un Dieu générique, ces arguments ne servent pas à faire des chrétiens. Mais cet argument n’est pas pour le moins convaincant. Oui, l’évangile est au centre de l’évangélisation et il est absolument nécessaire d’avoir foi en Jésus ; toutefois, cela ne rend pas inutiles les arguments en faveur de l’existence de Dieu : ils réfutent l’athéisme ! Dans une culture aussi séculière que la nôtre, il est particulièrement efficace de démontrer que l’athéisme est faux. Une fois que cette thèse sera établie, il sera bien temps de comparer les religions monothéistes et faire l’apologie du Christianisme. En l’occurrence, les apologètes classiques au contraire vont plus loin qu’un théisme générique, du moment qu’ils établissent la fiabilité de la résurrection de Jésus : cela constitue une raison de croire en le Dieu de Jésus, et laisse la porte ouverte à ce que la Bible soit aussi inspirée et ait autorité, même si elle n’est pas initialement utilisée comme telle dans notre argumentation.

Parfois, l’argument est même pire, il est affirmé que le Dieu des arguments classiques (cosmologique, moral, etc..) est incompatible avec le Dieu du Christianisme. Cette affirmation est sans mérite. Absolument aucune des propriétés du créateur établi par ces arguments ne contredit la vision chrétienne.

Enfin, et de manière plus dévastatrice, cet argument se réfute lui même, puisque la faute en question (si faute il y a) est également commise par l’argument transcendantal ! Comme exprimé ci-dessus, l’argument transcendantal fournit l’existence d’une âme transcendante qui ancre la rationalité du monde et les lois de la logique ainsi que les valeurs morales, mais il ne s’ensuit pas du tout (du moins pas sans arguments supplémentaires) que cette âme transcendante, ce ‘Dieu’, s’est aussi révélé en Jésus ou a inspiré la Bible. Pour cela, d’autres arguments (d’apologètes classiques !) sont nécessaires. Si l’apologète présuppositionnel ajoute à ses conclusions que la Bible est vraie et inspirée, alors là et seulement là, il commet en effet le sophisme du raisonnement circulaire, car ces conclusions ne sont pas supportées par l’argument transcendantal.

Une autre critique consiste à dire que l’apologétique classique est basée sur une vision erronée de l’homme déchu et un jugement trop optimiste de ses capacités à raisonner au sujet de Dieu. Les arguments logiques (avec prémisses et conclusions) employés par l’apologète classique sont dits être inefficaces, tant que le non-croyant n’est pas confronté à sa nature pécheresse, son besoin de salut et la nécessité du Dieu de la Bible (dont le non-croyant emprunte la croyance des lois de la logique, etc.).

L’apologète présuppositionnel au contraire affirme une vue réformée (dite ‘Calviniste’) de l’homme déchu, et affirme que toute conversion n’est que l’œuvre du Saint-Esprit souverain qui appelle le non-croyant de manière irrésistible dans le royaume de Dieu, ravive ses capacités intellectuelles, et fait de lui un croyant. Ces affirmations sont parfois avancées avec le slogan « la Théologie détermine la méthodologie d’apologétique ». Toutes ces affirmations théologiques sont parfaitement disponibles pour un apologète classique, affirmant que la conversion est entièrement l’œuvre de l’Esprit Saint, utilisant les arguments classiques tout comme il utiliserait l’argument transcendantal. Je suis moi même un ardent défenseur des arguments classiques, et avocat passionné de la théologie réformée. J’ai ma ‘carte du parti’ Calviniste en bonne et due forme, et affirme joyeusement avec Douglas Wilson que je me réveille tous les matins, et me dis « ah, encore une journée de Calvinisme ! » Mon anthropologie est donc des plus réformées, et elle n’exclut la validité ou l’utilité d’aucun des arguments ci-dessus.

Enfin, les apologètes présuppositionnels se plaignent que les arguments classiques n’établissent pas le ‘savoir’ de l’existence de Dieu, mais uniquement sa ‘haute probabilité’. Les arguments listés ci-dessus sont ‘déductifs’, avec des prémisses et une conclusion, et lorsqu’on considère un tel argument déductif, si les prémisses sont vraies, alors avec certitude la conclusion s’ensuit, mais la certitude de la conclusion n’est qu’aussi grande que la certitude de ses prémisses. Et donc, un argument déductif de la sorte n’établit pas vraiment de certitude absolue, le savoir de la vérité du Christianisme.

Or, l’apologète présuppositionnel argumente, la Bible ne nous dit pas de croire en la haute plausibilité de l’existence de Dieu, mais au contraire, affirme que nous avons tous le ‘savoir’ que Dieu existe, et c’est ce ‘savoir’ que l’apologète affirme comme partie intégrale de ses ‘présuppositions’, ou engagements théologiques.

Le problème de cet argument, c’est qu’il ne comprend pas la fonction d’un argument logique, et par ailleurs suppose une conception erronée de ce qu’est le savoir. Comme de nombreux philosophes l’ont démontré dans le domaine de l’épistémologie (la science de comment on sait ce que l’on sait), la certitude absolue n’est pas du tout nécessaire pour le ‘savoir’. Il y a un grand nombre de connaissances que l’on a, de manière justifiée, sans avoir certitude absolue. À vrai dire, il y a même excessivement peu de connaissances qui soient réellement absolument certaines. Les arguments ci-dessus ont donc pour rôle de montrer qu’étant donné des prémisses très plausibles, l’existence de Dieu s’ensuit très plausiblement, et donc peuvent très bien justifier le ‘savoir’ de l’existence de Dieu.

Une fois de plus, l’argument en question se trouve être auto-réfutant. Pourquoi ? Parce que l’argument transcendantal lui aussi a une structure logique, exprimable exactement dans le même format rigoureux que les arguments classiques listés précédemment. Il serait ainsi :

Prémisse 1 – Si Dieu n’existe pas, alors il ne peut y avoir de signification objective, de lois de la logique, ou de valeurs morales objectives

Prémisse 2 – Il existe des significations objectives, des lois de la logique (comme présupposées par cet argument !), et des valeurs morales objectives

Conclusion : Dieu existe

Comme je l’ai affirmé précédemment, je suis convaincu que cet argument est valide, efficace et convaincant. Mais sa structure logique n’est pas conceptuellement différente des arguments de l’apologète classique. Sa composante morale est même strictement identique à l’argument moral de l’apologète classique ! N’employons donc pas un double standard à deux poids deux mesures. Il n’y a rien de critiquable dans l’emploi d’un argument déductif utilisant des prémisses plausibles, bien que pas indubitable. Le savoir justifié ne requiert pas une certitude absolue.

Toutes ces critiques sont donc invalides, tant d’un côté que de l’autre. Les apologètes classiques critiquant l’apologétique présuppositionnelle comprennent mal la façon dont les termes sont définis par ces derniers (particulièrement le mot ‘présupposition’), et les apologètes présuppositionnels critiquant l’apologétique classique comprennent mal la place logique que jouent les arguments dans la justification du savoir.

De notre analyse, quelles conclusions peut-on donc tirer ? Il s’ensuit une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c’est que les critiques ci-dessus sont invalides et donc la totalité des arguments et méthodologies apologétiques discutées précédemment sont valides. Cela veut dire que tous les arguments classiques et l’argument transcendantal devraient faire partie de l’arsenal de l’apologète chrétien.

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La mauvaise nouvelle, c’est que ces critiques invalides soient encore défendues dans la littérature, par des érudits, dont c’est ironiquement le métier de savoir reconnaître un argument invalide quand ils en voient un. Si ma critique présente est trouvée convaincante, j’invite les apologètes (professionnels ou amateurs) intéressés par la question des méthodologies apologétiques, à abandonner les critiques ci-dessus, et à joindre leurs forces (et leurs arguments), pour ensemble établir la rationalité et la vérité du Christianisme, « étant toujours prêts à vous défendre, avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous ». (1 Pierre 3 :15)