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On en arrive donc, dans cette critique du « traité d’athéologie », à l’évaluation des arguments qui pèsent sur la question de l’existence de Dieu. Quelles bonnes raisons y a-t-il de penser que Dieu n’existe pas, et quelles bonnes raisons y a-t-il de penser que Dieu existe ? Ces deux questions distinctes sont importantes, car la question « Dieu existe-t-il ? » se répond par « oui » ou par « non », sans juste milieu possible. Le fardeau de la preuve est donc partagé par les théistes et les athées, ces derniers nous devant des arguments négatifs, et ces premiers des arguments positifs.

adam-300x136Dans un traité d’athéologie ayant l’ambition d’offrir un plaidoyer convainquant en faveur de l’athéisme, on s’attendrait ainsi à trouver les éléments suivants : 1-une revue des arguments théistes et leur réfutation montrant qu’il n’y a pas de bonne raison de croire en Dieu, 2-un ou des arguments supportant l’athéisme, et 3-des réponses aux réfutations de ces arguments, par les théistes dans la littérature.

Malheureusement, malgré ses 300 pages, le « traité d’athéologie » ne contient pratiquement aucun de ces trois éléments. Il critique vigoureusement la fiabilité de la Bible, la cohérence de son contenu, les capacités intellectuelles des croyants, le vice et les atrocités accomplies par les croyants au fil des âges, l’existence du Jésus historique, le caractère et les capacités intellectuelles de Paul de Tarse, Constantin, Jérôme, les papes catholiques, le prétendu « christianisme » d’Adolf Hitler, les enseignements perçus comme chrétiens au sujet de la science, de la moralité, de la sexualité, des femmes, de l’esclavage, de la nourriture, de la vie après la mort, etc., mais aucune de ces choses ne pèse sur la question de l’athéisme. Même si absolument toutes ces accusations se trouvaient être vraies—chose que bien entendu je m’apprête à contester dans la suite de cette critique—, il ne s’ensuivrait pas un instant que l’athéisme est vrai. Alors évidemment, ce plaidoyer offert par Michel Onfray requiert une réponse ; après tout, je ne suis pas juste un « théiste », mais bel et bien un « théiste chrétien », et j’ai donc à cœur de défendre la cohérence de mes croyances au delà de l’existence de Dieu. Mais il est ici important de réaliser que si ce livre souhaite offrir ce que sa quatrième de couverture nous annonce, « un athéisme argumenté », c’est un échec presque total.

–Presque.

Il y a néanmoins deux passages qui s’approchent très brièvement des 3 éléments que j’ai demandés ci-dessus, et même une remarque initiale on ne peut plus vraie, et particulièrement encourageante. Cette dernière apparaît lorsque Michel Onfray discute du type d’arguments et des disciplines qui entrent en jeu dans l’évaluation d’une vision du monde : il liste pages 34-35 la psychologie, la métaphysique, l’archéologie, la paléographie, l’histoire, le comparatisme, la mythologie, l’herméneutique, la linguistique, les langues, l’esthétique, et la remarque très encourageante vient alors : « Puis la philosophie, évidemment, car elle paraît la mieux indiquée pour présider aux agencements de toutes ces disciplines. »

—Amen !

Il est rafraichissant d’entendre un athée qui réalise que la philosophie (au meilleur sens du terme : avec sa logique rigoureuse, ses outils pour examiner la cohérence des idées, et détecter les sophismes), est l’outil fondamental qui doit bel et bien « présider » à l’agencement des arguments de toutes les disciplines. Sur ce point, je me trouve de manière enthousiaste dans le camp de Michel Onfray.

Hélas, tandis que la philosophie est reconnue comme discipline maîtresse, aucun des arguments des philosophes théistes n’est évalué et réfuté. Le demi-siècle dernier a vu une réelle renaissance de philosophie analytique chrétienne, et une littérature incroyablement volumineuse a explosé avec des discussions très sérieuses des arguments en faveur de l’existence de Dieu: l’argument de la contingence, l’argument cosmologique de Kalaam, l’argument moral, l’argument ontologique, l’argument téléologique basé sur l’accord fin des constantes de l’univers, l’argument transcendantal basé sur l’existence des lois de la logique, autant d’arguments rationnels qui, si l’athée les trouve peu convaincants, méritent au grand minimum une brève réfutation.

St-Thomas-Aquinas-213x300D’un certain côté, on pourrait pardonner à Michel Onfray d’être ignorant de la littérature moderne majoritairement  anglo-saxonne, expliquant le manque d’interaction avec le travail des champions philosophes chrétiens américains et anglais tels qu’Alvin Plantinga, William Lane Craig, Richard Swinburne, Peter van Inwagen, Robert Adams ou tant d’autres (quoiqu’on pourrait se demander s’il est bien responsable de proclamer l’irrationalité d’une croyance lorsqu’on est ignorant des meilleurs arguments en sa faveur du seul fait qu’ils soient écrits dans la langue de Shakespeare au lieu de celle de Molière), mais Michel Onfray témoigne quand même d’une certaine familiarité avec les arguments classiques. En page 53, il fait une allusion directe aux célèbres « cinq voies » de Thomas d’Aquin et aux arguments classiques qu’il qualifie de « constructions extravagantes bricolées avec des causes incausées, des premiers moteurs immobiles, des idées innées, des harmonies préétablies et autres preuves cosmologiques, ontologiques, ou physico-théologiques… »

Les noms d’arguments importants sont listés explicitement ; quel dommage qu’ils ne soient alors pas réfutés, ou même expliqués ! S’ils ne sont que des « bricolages » extravagants, il aurait été facile de détruire ces bricolages philosophiques ; Michel Onfray ne le fait pas.

Enfin, du côté des arguments en faveur de l’athéisme, c’est le silence presque complet. Le plus près que Michel Onfray s’approche d’un argument athée est en bas de la page 75, où deux phrases nous sont servies comme un geste timide vers l’argument du mal : « Les théistes ont fort à faire en termes de contorsions métaphysiques pour justifier le mal sur la planète tout en affirmant l’existence d’un Dieu à qui rien n’échappe ! Les déistes paraissent moins aveugles, les athées semblent plus lucides. »

Il s’agit de l’argument athée classique du « problème du mal ». Michel Onfray ne le défend pas vraiment, et bien entendu n’interagit pas avec la littérature sur la question ; on aurait aimé une réfutation des « contorsions métaphysiques » offertes par Plantinga, van Inwagen et compagnie, mais au moins il s’agit d’une tentative d’argument athée, alors je dirai quelques mots de plus à son sujet dans la prochaine partie de ma critique, qui traitera des remarques de Michel Onfray sur la moralité (et particulièrement l’immoralité) et sa relation avec le théisme.

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